Perte massive de biodiversité dans la région de l'Hindu Kush Himalaya
par Beth Walker pour The Third Pole, le 27 février 2019
La région la plus riche en biodiversité au monde perdra jusqu'à 87% de son habitat naturel d'ici 2100, avec des répercussions au niveau mondial. Ce ne sont pas uniquement la neige et la glace qui disparaissent du Toit du monde. Les animaux et les espèces végétales, la diversité des cultures et la diversité des écosystèmes se perdent également, telles sont les preuves présentées récemment dans le rapport phare de l'ICIMOD évaluant l'état de la région.1
Le rapport dresse un tableau sombre de la région qui est à l’origine des 10 principaux fleuves d’Asie et qui fournit de l’eau, de la nourriture, de l’énergie et du carbone à près de deux milliards de personnes. La biodiversité est en forte baisse, en raison du développement humain, de la pollution, de la surexploitation des ressources et du changement climatique, entre autres, selon le chapitre du rapport rédigé par Xu Jianchu du Centre mondial d'agroforesterie de Kunming, en Chine.
Selon les données citées dans le rapport, 70 à 80% de l'habitat d'origine de la région ont été perdus et ce chiffre pourrait atteindre 80 à 87% d'ici 2100. Un quart des espèces endémiques dans la partie indienne de l'Himalaya pourrait être anéanti d'ici 2100. Le changement climatique est appelé à aggraver cette situation, de même que le développement de nouvelles infrastructures, des routes commerciales et des barrages hydroélectriques prévus pour cette région fragile. Cela signifiera aussi la perte des secteurs environnementaux clés que la région fournit au reste de l'Asie, tels que le stockage de l'eau et du carbone.
Point chaud de la biodiversité mondiale
Les montagnes de l'Hindu Kush Himalaya contiennent les régions les plus riches en biodiversité du monde - certaines d'entre elles sont encore inconnues. Environ 35 nouvelles espèces ont été trouvées chaque année dans l'Himalaya oriental entre 1998 et 2008. S'étendant sur une vaste distance de l'Afghanistan à l'ouest jusqu'à la Chine à l'est, la région n'est pas seulement couverte de neige et de glace.
Elle englobe des vallées tropicales luxuriantes, des forêts de montagne, des prairies alpines, des plateaux et des zones humides de haute altitude, ainsi que des steppes arides.
Ces écosystèmes fournissent un habitat à une large diversité d'animaux en voie de disparition, notamment des tigres, des éléphants, des cerfs porte-musc, des panda roux et des léopards des neiges. La plupart de ces espèces - à l'exception de l'antilope du Tibet et du panda géant dont le nombre a grimpé au cours de la dernière décennie – se dirigent vers l'extinction. Les rhododendrons, les orchidées, des plantes médicinales rares et des sauvages comestibles sont également menacés.
Les résultats de l'ICIMOD corroborent des études antérieures montrant qu'à mesure que les températures augmentent avec le changement climatique, de vastes zones de prairies, de prairies alpines, de zones humides et de pergélisol disparaîtront sur le Haut plateau tibétain d'ici 2050.
Le plateau tibétain se réchauffe jusqu'à trois fois plus rapidement que la moyenne mondiale, selon les rapports récents. La diversité génétique de l'Hindu Kush Himalaya a également une importance mondiale, souligne le nouveau rapport, qui a identifié 2 500 espèces de riz rien qu'au Népal et 100 types de basmati dans l'Himalaya occidental. Cette variété de culture pourrait servir de ressource génétique pour améliorer les rendements et la résistance aux ravageurs. Cela sera essentiel pour soutenir la sécurité alimentaire globale dans un monde où la diminution de la diversité des cultures nous a rendus plus vulnérables au changement climatique. Jusqu'à présent, peu de recherches ont été menées sur la diversité génétique de la région, souligne le rapport.
Impacts humains
Les écosystèmes sont de moins en moins résilients au stress. Cela a conduit à une perte de la faune et de la flore, ainsi qu'à des variations dans les saisons de croissance, des écosystèmes entiers se déplaçant vers des altitudes plus élevées. En même temps, la région est confrontée à une augmentation de la gravité des catastrophes naturelles dues au changement climatique et à un effondrement des systèmes de gestion traditionnels.
Cela aura des impacts énormes, en particulier pour les 240 millions de personnes des régions montagneuses qui vivent encore dans la pauvreté et dépendent des ressources naturelles pour leur alimentation et leurs moyens de subsistance quotidiens. Le rôle de la biodiversité himalayenne sur la santé a aussi été négligé, souligne le rapport. La région est connue depuis des millénaires pour abriter de nombreuses plantes médicinales. Cela aura un impact sur les grandes sociétés pharmaceutiques, car la découverte et le développement de médicaments sont dépendant de l'étude des effets des plantes et des herbes sur le corps humain. Beaucoup d’entre elles pourront être perdus avant d’avoir été étudiées.
La perte de biodiversité entraînera l'expansion des maladies à mesure que les agents pathogènes se déplaceront vers de nouveaux habitats et de nouvelles pathologies apparaîtront en raison des changements dans la disponibilité de l'eau.
L'Hindu Kush Himalaya est également l'une des régions les plus diversifiées du monde sur le plan culturel. Ses vallées très peuplées abritent plus de 1 000 groupes ethniques différents, chacun ayant ses propres pratiques traditionnelles, ses cultures agricoles et ses connaissances locales. Des réseaux commerciaux vastes et dynamiques le long des anciennes Routes de la Soie ont facilité les échanges culturels, les transferts de connaissances et de biodiversité au fil des siècles. Cela a abouti à une riche migration d'espèces et à la multiplication de systèmes agricoles et végétaux.
Beaucoup de ces routes ont été fermées dans les années 1960, alors que la Chine s'est repliée sur elle-même et que des différends frontaliers ont éclaté – et qui actuellement sont à nouveau ravivés. Beaucoup d'autres restent fermées, en grande partie en raison de tensions politiques entre l'Inde et le Pakistan, ainsi qu'entre l'Inde et la Chine.
Approche communautaire de la conservation de la biodiversité
Le rapport note un changement positif au cours des dernières décennies dans les approches de conservation de la biodiversité : actuellement, on ne se concentre plus uniquement sur les espèces en excluant les personnes, la conservation de l'environnement est intégré à la vie sociale. Ces approches participatives ont apporté des changements positifs dans la régénération des forêts dégradées et la restauration des zones humides, par exemple. La biodiversité est beaucoup plus riche autour des sites communautaires, culturels et religieux. Cependant de graves menaces se profilent, l’activité des locaux ne peut pas à elle seule endiguer la perte de la biodiversité qui se passe à grande échelle.
L'hydroélectricité est une grande menace, avec plus de 550 grands projets opérationnels ou en construction. De nouvelles routes commerciales dans le cadre de l’Initiative chinoise « Ceinture et route », telles que de nouveaux chemins de fer et routes traversant des paysages fragiles, offriront des opportunités aux régions éloignées, mais pourraient faciliter l’extraction des ressources locales et favoriser le commerce illégal des espèces sauvages. Le changement climatique entraîne des changements massifs dans les écosystèmes, en particulier sur le pergélisol, une désertification généralisée aux sources des principaux fleuves du Haut plateau tibétain en Chine, transformant de vastes étendues de prairies et de zones humides en désert.
Plus d'ambition est nécessaire
Environ 40% de la région de l'Hindu Kush Himalaya est désignée comme zone protégée mais la mise en œuvre des mesures de conservation est inégale. Beaucoup de ces zones sont éloignées et les autorités ont peu de contrôle sur les régions frontalières, parfois en proie à des conflits. Le hotspot indo-birman2 est un exemple : à cheval entre l'Inde et le Myanmar, il a l'un des niveaux les plus élevés d'espèces endémiques mais est loin derrière d'autres régions en matière de conservation. Les auteurs du rapport appellent les pays de la région et les gouvernements donateurs et le secteur privé à intensifier leurs engagements financiers pour la conservation de la biodiversité.
Le rapport est un peu mince sur les mesures concrètes que les gouvernements nationaux, les investisseurs et la société civile devraient prendre, mais il souligne la nécessité d'une plus grande coopération régionale.
URL de l'article en anglais : https://www.thethirdpole.net/2019/02/15/hindu-kush-biodiversity/
1https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-92288-1_5
2Le hotspot de biodiversité indo-birman est reconnu comme l’une des régions prioritaires pour la conservation de la biodiversité mondiale et figure parmi les 8 hotspots qui pourraient être les plus affectés par la disparition d’espèces si le rythme actuel de déforestation perdure, notamment sous la pression croissante des industries agroalimentaires et extractives et de l’hydroélectricité.