Arts magiques ou médecine tibétaine ?
par Albert Ettinger, le 24 juin 2015
Suite à une de mes conférences, je me suis fait apostropher par un des participants qui se disait offusqué de ma manière de décrire la médecine tibétaine : « une médecine à base d'urines et de crachats de lamas », aurais-je osé dire, alors que d'après lui, cette médecine traditionnelle et millénaire met à profit le pouvoir des plantes médicinales de l'Himalaya...
Là, je dois vraiment m’excuser auprès de ce Monsieur puisque, étant obligé de faire un exposé concis, j’ai omis de mentionner d’autres remèdes et procédés fameux de la médecine traditionnelle tibétaine. Je laisse donc la parole à un lama dont on peut difficilement mettre en doute l’immense sagesse et l’autorité (puisqu’il s’agit du médecin personnel du dalaï-lama !), et qui vante par exemple les vertus du mercure : « Nous autres médecins tibétains le considérons comme le remède le plus important. Il confère au corps des forces considérables, améliore le fonctionnement des organes vitaux, permet une plus grande longévité et fortifie les éléments du corps – le sang, les graisses, les muscles, les os et la moelle. Le mercure joue aussi un rôle préventif contre les mauvais esprits, les imprécations ou malédictions dont nous pouvons être les objets » (Tenzin Choedrak: Le palais de l’arc-en-ciel).
Heinrich Harrer, sans doute un autre avocat de la Chine communiste, raconte d’un ton moqueur la manière dont les médecins lamaïstes tentèrent en vain de sauver la vie du père du dalaï-lama : « Moines et guérisseurs se donnaient la plus grande peine afin de le garder en vie. Ils fabriquèrent aussi une poupée dans laquelle ils firent entrer sa maladie à l’aide de la magie, et la brûlèrent en grande pompe au bord de la rivière » (Harrer: Sieben Jahre in Tibet, S. 294).
Autre exemple de médecine Voodoo tibétaine que j’aurais sans doute dû mentionner lors de ma conférence: un lama, Jigmela Rinpoche, décrit ainsi la manière de traiter les maladies psychiques ou du système nerveux, dues souvent, selon lui, à la possession du malade par un démon : « Le médecin tibétain est à même de déterminer si cela est bel et bien la raison de la folie, en observant le flux énergétique de la matière subtile et en tâtant le pouls de l’aliéné. » Alors commence la thérapie : « Il existe un canal de la matière subtile qui permet aux êtres de pénétrer le corps humain, et sa porte est l’annulaire de nos mains. Ainsi, le médecin ‚ferme‘ (…) d’abord cette ‚porte d’accès‘ en nouant un ruban spécial autour de ce doigt. Contrairement aux exorcistes occidentaux, nous ne chassons donc pas l’être fait de matière subtile du corps de l’aliéné, mais le forçons d‘y rester et nous nous mettons à discuter avec lui. » (Lama Jigmela Rinpoche: Der tibetische Buddhismus, S. 228-229)
J’aurais peut-être dû aussi mentionner l’importance accordée aux reliques, aux amulettes et autres porte-bonheur, aux formules magiques, ou encore la place de choix de l’astrologie dans la formation des lamas médecins.
Il n’en est pas moins vrai que les remèdes dont j’ai parlé lors de ma conférence furent particulièrement appréciés (et payés cher) par les Tibétains. Ainsi, non pas moi, qui suis bien sûr complètement ignorant, mais le prêtre zen japonais Kawaguchi écrit ceci : “Now I come to the most wonderful medicines of the world. The first is the salt used in packing corpses. This salt is considered as an article of great virtue” […] “The salt medicine reminds me of the existence in Tibet (and happily nowhere else) of another sort of panacea equally abominable […] as the essential ingredients are nothing less than the excreta, both liquid and solid, of the Grand Lama or other high priests [… mixed with other substances and […] made into pills … being accessible to ordinary people only through some powerful influence, and even then only by paying for them a large sum of money.” (Kawaguchi: Three Years in Tibet, p. 102-103)
Heinrich Harrer, sans aucun doute un grand ami de la « dictature chinoise », confirme : « Souvent les lamas enduisent leurs patients de leur sainte salive; ou de la tsampa et du beurre sont mélangés avec l’urine des saints pour former une pâte qui est ensuite administrée aux malades. » (Harrer: Sieben Jahre in Tibet, S. 255) Ce genre de traitement n’a pas disparu, même de nos jours: Patrick French rapporte avoir vu des moines qui, pour traiter un enfant malade, lui soufflèrent au visage ou « licked affected parts of the body, including growths and open sores, to cure them. » (French: Tibet, Tibet. A Personal History of a Lost Land, p. 237)