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L’Europe divisée face à la Chine ?

par André LACROIX, le 28 février 2018

Le site « France-Tibet » se fait un plaisir de reproduire régulièrement les articles de Libé empreints de préjugés antichinois ou simplement manifestant une peur de ce nouveau géant (1). Cette fois il s’agit de propos tenus par Mme Angela Merkel à l’occasion de la visite à Berlin de son homologue macédonien M. Zoran Zaev (2) sous le titre BERLIN / PEKIN : Merkel met en garde contre l’influence de la Chine dans les Balkans.

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France-Tibet : bêtise et/ou perfidie

La note introductrice de la rédaction de « France-Tibet » mérite d’être citée intégralement : « La position ferme d’Angela Merkel face à l’intrusion chinoise en Europe sous des prétextes variés prouve une grande lucidité qui pourrait manquer à notre équipe gouvernementale … entraînée par Monsieur Raffarin dans une valse effrénée, peut-être grâce les [sic] vapeurs des vins de Bordeaux… »

Comment comprendre cette allusion à l’Ancien Premier Ministre français, une allusion qui se voudrait perfide avant de se révéler pitoyable ?

Le site France-Tibet s’abaisserait-il ꟷ c’est bien possible ꟷ à laisser entendre que Jean-Pierre Raffarin se laisserait trop tenter par la dive bouteille au point que son jugement en soit altéré ? Il s’agirait là d’une attaque d’autant plus vile que Jean Raffarin, le père de Jean-Pierre, fut secrétaire d’État dans le Gouvernement de Pierre Mendès France et que de son bref passage au pouvoir – le Cabinet Mendès tomba au bout de huit mois ꟷ l’Histoire retiendra sa décision d’offrir un verre de … lait, chaque matin, à tous les écoliers de France (3).

Autre explication possible, mais sans doute trop subtile pour « France-Tibet » : seraient ici visés les effluves de la séduction exercée sur Raffarin par le maire de Bordeaux, Alain Juppé, l’un et l’autre tentés de lâcher « Les Républicains » de Laurent Wauquiez (4) et de se rapprocher d’Emmanuel Macron lors de élections européennes de 2019.

Photo publiée par Le Figaro, 15/11/2017 Alain Juppé émet l'idée d'un «grand mouvement central» avec le chef de l'État en vue des élections européennes de 2019. PATRICK KOVARIK/AFP
Photo publiée par Le Figaro, 15/11/2017 Alain Juppé émet l'idée d'un «grand mouvement central» avec le chef de l'État en vue des élections européennes de 2019. PATRICK KOVARIK/AFP

Plus vraisemblablement, ce que « France-Tibet » ne supporte pas, c’est l’ouverture de Jean-Pierre Raffarin aux échanges avec la Chine. Voilà près de six ans déjà, avant qu’on ne parle des nouvelles routes de la soie, il avait attiré l’attention sur les débouchés offerts par le marché chinois aux viticulteurs français tant bourguignons que bordelais (5). Son frère Gérard était même venu faire la promotion du vin français dans la province chinoise du Jiangxi (6). Pour Jean-Pierre Raffarin, « cette vision frileuse que peuvent avoir les Français envers la Chine est dangereuse. Il faut plutôt essayer de comprendre cette culture très différente de la nôtre et de s’intéresser à eux. » (7) Une telle profession de foi est insupportable pour les esprits étroits qui font la loi à « France-Tibet ».

 

Angela Merkel en perte de lucidité ?

Il n’est donc pas étonnant de voir « France-Tibet » (et Libé !) vanter la « lucidité » d’Angela Merkel qui aurait déclaré : « chercher à lier les relations commerciales ‘à des questions politiques, je ne trouve pas que ceci soit une contribution au libre-échange’ ».

« Elle faisait manifestement allusion, poursuit Libé, à l’initiative chinoise des ‘Nouvelles routes de la soie’, un colossal projet d’investissement dans les infrastructures à destination de l’Europe, qui fait parfois craindre de voir le régime communiste étendre son influence politique vers l’Europe notamment. » On croit rêver : celle qui présida aux destinées de l’Allemagne (et de l’Europe) pendant douze ans découvrirait-elle que le dynamisme économique d’un pays s’accompagne nécessairement d’un accroissement de son influence politique ?

commons.wikimedia.org
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L’article continue : « Parmi les cibles [de la Chine], plusieurs pays de l’est ou du sud du continent, prompts à accepter l’argent des Chinois y compris dans les secteurs stratégiques, comme la Grèce qui a vendu le port du Pirée dans le cadre des privations réclamées par ses partenaires européens en échange de plans d’aide financière. » Notre étonnement se mue en ahurissement : si la Grèce a été contrainte de vendre le Pirée, n’est-ce pas précisément à cause de l’intransigeance de son bras droit Wolfgang Schäuble ? Angela Merkel fait penser ici à un pilote automobile se plaignant d’avoir perdu la course alors qu’il avait simplement oublié de remplir son réservoir, ce dont le vainqueur a profité pour négocier tranquillement les virages du circuit.

 

Quelle sera la réponse de l’UE aux avances chinoises ?

Dans le groupe des pleureuses, on trouvera ceux qui en sont restés à craindre le péril jaune et qui ne demandent qu’à prêter une oreille complaisante au lobby « Free Tibet », passé maître dans l’art d’instrumentaliser une soi-disant défense des droits de l’homme pour entretenir la phobie de la Chine. Ce lobbying intensif arrive parfois à ses fins, comme on a pu le constater le 17 janvier 2018, lors du vote par le Parlement européen d’une résolution condamnant la Chine pour l’emprisonnement (par ailleurs justifié) d’activistes tibétains (mettant en cause l’intégrité territoriale). Le moins qu’on puisse dire de cette résolution, est que, comme le gorille de Georges Brassens, elle « ne brille ni par le goût, ni par l’esprit ». Qu’on en juge par l’analyse magistrale (en deux volets) qu’en a faite Albert Ettinger : à lire toutes affaires cessantes (8).

L’initiative intempestive du Parlement européen ne provoquera qu’un haussement d’épaules des autorités chinoises. Le même sort est promis aux déplorations de Mme Merkel, comme le reconnaît implicitement la suite de l’article de Libé : « (…) la Chine a investi depuis 2014 dans la construction d’autoroutes dans le pays [la Macédoine]. Et lors d’une récente rencontre avec son homologue chinois Li Keqiang, le chef du gouvernement macédonien Zoran Zaev avait déclaré que ‘l’aide de la République populaire de Chine est importante pour la modernisation de son pays.’ » Dans le contexte du forum qui s’est tenu à Pékin en mai 2017, Brigitte Zypries, Ministre (SPD) de l’Économie (dans le Gouvernement Merkel III) avait pour sa part déclaré : « l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie contribuera à réaliser l’interconnexion des infrastructures et à promouvoir le commerce et les investissements entre l’Asie et l’Europe » (9). On sait aussi que Theresa May est allée en Chine en février 2018 pour tenter d’y nouer des liens post-Brexit. Elle y avait été précédée par Emmanuel Macron qui avait plaidé pour une « alliance franco-chinoise pour un avenir mondial » (10).

Parmi les politiciens européens clairvoyants, le moindre n’est pas l’ancien premier ministre italien, Enrico Letta, actuellement doyen de la PSIA (Paris School of International Affairs) à Sciences Po. Dans une remarquable interview donnée à l’IRIS, il constate qu’en bien des domaines (environnement, multipolarité, lutte contre le terrorisme), il existe « une convergence naturelle qui doit être accélérée entre la Chine et l’Europe » (11).

L’Europe, qui n’est qu’une presqu’île du vaste continent eurasiatique, a tout intérêt à s’ouvrir toute grande aux nouvelles routes de la soie. Le monde économique semble l’avoir compris plus rapidement et plus massivement que le monde politique : les hommes d’affaires européens ont de moins en moins peur de se faire dévorer par l’ogre chinois. C’est ainsi, par exemple, comme le signale l’Ambassadeur de Chine en Belgique que « l’année dernière, le rythme de croissance des exportations belges vers la Chine a été plus rapide que celui des importations de Chine. » (12)

À l’heure du repli états-unien, une chance historique s’ouvre pour l’Europe d’entretenir avec la Chine une relation « gagnant-gagnant », basée sur une compréhension réciproque.

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(1) Voir :

http://tibetdoc.org/index.php/politique/mediatisation/422-libe-porte-voix-de-dharamsala ou https://www.legrandsoir.info/libe-porte-voix-de-dharamsala.htm

http://tibetdoc.org/index.php/politique/exil-et-dalai-lama/437-les-frustrations-de-m-lobsang-sangay ou https://www.legrandsoir.info/les-frustrations-de-m-lobsang-sangay.html

(2) www.tibet.fr, 22/02/2018

(3) Lire à ce sujet, dans L’Express du 22/01/2009 l’article de Philippe Bidalon intitulé Les Raffarin : le terroir au cœur.

(4) Lire à ce sujet, dans Le Figaro du 02/02/2018 l’article de Pierre Lepelletier intitulé Raffarin n’exclut pas de quitter LR pour rejoindre « celui qui rassemblera au centre »

(5) Le Bien public du 13/04/2012

(6) Voir le site french.china.org.cn du 09/04/2012

(7) Le Bien public du 13/04/2012

(8) Une analyse en deux volets : http://tibetdoc.org/index.php/politique/geopolitique/439-le-parlement-europeen-et-les-droits-de-l-homme-au-tibet-1ere-partie-deux-poids-deux-mesures

http://tibetdoc.org/index.php/politique/geopolitique/440-le-parlement-europeen-et-les-droits-de-l-homme-au-tibet-2e-partie-ignorance-ou-mauvaise-foi
(9) « La Chine au présent », 01/06/2017

(10) Claude Arpi, Le jeune cheval a-t-il dompté le dragon ?, sur le site « France-Tibet » du 23/01/2018.

(11) Interview donnée à l’IRIS ; réf. : www.dailymotion.com/video/x6b44j6

(12) in Le Soir du 27/02/2018, qui publie deux pleines pages rédigées par China Daily