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Free-Tibet utilise le blog de Médiapart pour calomnier la Chine

par Elisabeth Martens, le 6 avril 2025

Les groupes Free-Tibet utilisent vraiment n'importe quelle info suscitant chez nos concitoyens émotion et indignation quant aux agissements de la Chine. Leur but est de rappeler leur sempiternel combat : un Tibet indépendant de la Chine, un « Tibet libre », c'est-à-dire libre de rejoindre le vaste dépotoir produit par notre « Marché libre » et nos démocraties agonisantes.

 

Cortège de gelugpas lors de la célébration religieuse de « l'exposition du Bouddha au soleil »
Cortège de gelugpas lors de la célébration religieuse de « l'exposition du Bouddha au soleil »

« Par des politiques d’assimilation forcée, Pékin cherche à dissoudre la spécificité culturelle tibétaine et à mouler toutes les minorités ethniques dans une identité chinoise Han homogène » écrit un adepte de Free-Tibet dans le chapeau d'un article concernant l'amendement de la loi chinoise sur l'éducation à la défense nationale.

Une peu plus loin l'article qui a été relayé par Médiapart le 3 avril 2025 cite les paroles qu'une « source » inconnue, non citée, rapportent à Radio Free Asia : « Il ne s’agit plus seulement de remplacer les manuels de langue tibétaine par le mandarin » », « maintenant, ils intègrent du personnel militaire dans les écoles pour remodeler systématiquement les valeurs, la pensée et les comportements des enfants tibétains afin de les rendre obéissants au Parti ». La « source » provient du Tibet, précise l'article, et parle « sous couvert d’anonymat par crainte de représailles » : quelle intrigue ! Par contre, l'adepte de Free-Tibet ne s'émeut guère de se référer à Radio Free Asia, une radio créée et financée par la CIA.

Lisant de pareilles infos, notre sang ne fait qu'un tour : comment le gouvernement chinois ose-t-il introduire des militaires dans les écoles tibétaines alors qu'il a déjà interdit l’apprentissage de la langue tibétaine et qu'il étouffe la culture tibétaine depuis des décennies ? « Scandale ! », nous alarmons-nous.

Remettons les pendules à l'heure !

Cette loi concerne toute la Chine, pas uniquement le Tibet

Tout d'abord, cette loi ne concerne pas uniquement le Tibet. Elle concerne le pays tout entier. Ce qu'essaye de nous faire croire « Free Tibet », c'est que le gouvernement chinois vise spécifiquement le Tibet, ceci par exemple, en parlant de la « militarisation alarmante de l’éducation tibétaine », et en joignant à l'article des photos suggestives (voir ci-dessous).

 

un vétéran de l'armée chinoise instruit des enfants tibétains de l'école primaire, de l'article publié par médiapart : la-nature-coloniale-des-politiques-de-la-chine-au-tibet

En septembre 2024, la loi sur l'éducation nationale a été amendée afin de : « améliorer les dispositions relatives à la formation militaire des élèves » et « ajouter des dispositions selon lesquelles l'éducation à la défense nationale sur le campus doit viser à sensibiliser des élèves à leur obligation juridique d'effectuer leur service militaire », selon Xinhua.

L'objectif de la réforme est de transmettre à tous les membres de la société chinoise la théorie, les connaissances et les compétences liées à la défense nationale en sensibilisant les élèves à la défense nationale dès l'école primaire et d'introduire des cours de formation militaire obligatoires dans les lycées et les universités. Les gouvernements locaux sont tenus de couvrir les coûts de l'éducation à la défense en les incluant dans leurs budgets.

Alors que le plan « Rearm Europe » prévoyant jusqu'à 800 milliards d'euros d'investissements pour relancer la défense européenne proposé en mars 2025 par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a été adopté à l’unanimité (moins un, Victor Orban, qui fut écarté ...), doit-on s'attendre à ce que la Chine reste les mains croisées dans le dos en regardant les trains qui passent ?

Le gouvernement chinois vise également à attirer les talents militaires dans les écoles de médecine du pays. Lors d’une visite à l’Université de médecine militaire de Chongqing en mars dernier, le président Xi Jinping lui-même a exhorté les étudiants et le personnel à servir sur le terrain et à travailler à la construction d’une « école de médecine militaire de classe mondiale ». Un autre objectif du développement de l’enseignement de la défense nationale est le recrutement de talents de haute technologie. L'expertise dans des domaines tels que l'intelligence artificielle, la robotique et l'espace est très demandée dans le cadre du processus de modernisation de l'armée chinoise.

Alors que les manœuvres militaires en Mer de Chine et les provocations de la Maison Blanche à Taïwan se multiplient, on voudrait que la Chine reste sourde, muette et manchote ?

La sinisation forcée du Tibet est un mythe !

Ensuite, les « politiques d’assimilation forcée par Pékin » est un mythe construit de toutes pièces par l'ICT (International Campaign for Tibet) et ses satellites de Free-Tibet qui, dès leur fondation, ont été soutenus par la CIA. Dans les années 1970, le relais fut pris par la NED.

Jamais je n'ai entendu dire qu'on assimile un peuple qui fait déjà partie d'une nation, or le Tibet est une province chinoise depuis la division de la Chine en 18 provinces faite par la dynastie des Qing au 17ème siècle. Sans parler de l'annexion du Tibet à la Chine qui, elle, est encore bien antérieure puisqu'elle date du 13ème siècle lors de la domination des Yuan sur le territoire chinois.

En revenant à l'actualité, les groupes Free-Tibet abusent de notre crédulité en faisant croire au remplacement des manuels scolaires en tibétain par des manuels en chinois. En 2019, j'ai eu l'occasion de visiter une école de 2000 élèves située au pied de l'Everest. Une institutrice tibétaine de l'école m'a affirmé qu'elle enseignait en tibétain, « mais les deux langues sont enseignées dès la première primaire », a-t-elle ajouté, « car il est important pour les enfants de connaître la langue nationale, le chinois han ». Elle m'a montré des cahiers d'écoliers en tibétain et en chinois. « Une option d'anglais est ouverte dès la troisième primaire », a encore dit la jeune institutrice, « pour que nos enfants puissent s'ouvrir au monde ».

 

cahiers d'écoliers à l'école visitée au pied de l'Everest
cahiers d'écoliers à l'école visitée au pied de l'Everest

Dans les librairies de Lhassa, j'ai trouvé de nombreux livres pour enfants en tibétain, ainsi que des livres sur la culture tibétaine, la médecine tibétaine, (même un livre en chinois qui expliquait les 80 tangkas de la médecine tibétaine aux Chinois), des livres politiques, économiques, des romans, de la poésie, etc. En rue, les enseignes sont toutes bilingues chinois-tibétain, ou trilingues (l'anglais en prime) dans les lieux plus touristiques.

 

À la librairie Xinhua Shuadian de Lhassa
À la librairie Xinhua Shuadian de Lhassa

Lors du festival annuel de Shoton en septembre, j'ai assisté à la cérémonie de « l 'exposition du Bouddha au soleil » au monastère de Drepung. Je me suis fait bousculer par une foule de Tibétains, des fidèles bouddhistes, et j'ai dû jouer des coudes pour apercevoir les moines en habits de cérémonie menés le cortège au son des trompes et des cymbales. Dans le parc du Norbulinka ouvert aux familles tibétaines pendant le festival de Shoton, j'ai eu l'occasion de voir une représentation du théâtre traditionnel, l'ache-lhamo, jouée devant un public tibétain nombreux et particulièrement attentif.

Théâtre traditionnel tibétain, aché-lhamo, au parc du Norbulinka (sept. 2019)
Théâtre traditionnel tibétain, aché-lhamo, au parc du Norbulinka (sept. 2019)

Durant tout le mois qu'a duré mon périple vers le Tibet occidental pour visiter la région peu connue du royaume de Gugé et sa culture pré-bouddhiste, je n'ai pas une seule fois eu l'occasion d'exercer mon « petit chinois », langue de j'avais apprise durant mes trois années d'étude de médecine traditionnelle à Nanjing. Ceci pour la bonne raison que les deux Tibétains qui nous accompagnaient n'ont parlé que le tibétain durant tout le voyage et passaient à l'anglais dès qu'ils se tournaient vers moi, comme un réflexe face à une « laowai » (littéralement : « vieux de l'extérieur », surnom gentil que les Chinois donnent aux étrangers).

 

Sources :

https://blogs.mediapart.fr/rangzen/blog/030425/la-nature-coloniale-des-politiques-de-la-chine-au-tibet

https://french.xinhuanet.com/20240910/a5f740fed6b147508f16512f751ddc94/c.html

https://www.agenzianova.com/fr/news/cina-un-nuovo-disegno-di-legge-prevede-la-formazione-militare-obbligatoria-nelle-universita/