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Les Chinois envahissent-ils le Tibet ?

par Jean-Paul Desimpelaere, le 19 mars 2009

Le premier recensement approfondi en Chine, Tibet compris, a eu lieu en 1982. Il s’agissait d’un comptage effectif, de 100%, y compris des données concernant l’âge, la composition familiale, les professions et d’autres éléments démographiques. Les recensements antérieurs n’étaient que des évaluations.

 

Les registres de la population actuels indiquent que le nombre de Tibétains, au Tibet même, dans des districts autonomes d’autres provinces et dans quelques autres zones minoritaires de ces provinces, s’élève à 5,7 millions (chiffre de 2006). La population totale du Tibet (R.A.T.) est de 2,7 millions, dont 6 % de Han. La concentration de Han est la plus forte dans les arrondissements de Lhassa et de Nyingchi (s’élevant là de15 à 20 %). L’armée n’est pas comprise dans le nombre de Han résidant au Tibet. Les effectifs de l’armée chinoise présents au Tibet diminuent (comme partout en Chine), ils sont estimés à 50.000 soldats, parmi lesquels se trouvent un certain nombre de Tibétains.


Pendant des siècles, et ce jusqu’en 1951, aucun Chinois Han – à l’exception de quelques princesses, officiels, soldats, techniciens ou commerçants – ne vivait dans ce qui est aujourd’hui la Région Autonome du Tibet. Les Chinois Han frissonnent à la seule idée de devoir s’établir au Tibet.

Quant à y entreprendre un voyage, ils pensent immédiatement à se procurer une bouteille d’oxygène et une veste en duvet de plumes d'oie. Les Chinois Han craignent les hautes altitudes et le gros bétail. S'ils restent quelque temps au Tibet, c'est de préférence dans les grandes villes et juste le temps de rentabiliser u petit commerce qui viendra contrebalancer les inconforts du quotidien. Pour les Han, le Tibet est loin d'être une terre promise, rien de comparable avec le Far West pour les premiers Américains.

 

Artère routière à Lhassa  (photo JPDes., 2009)
Artère routière à Lhassa (photo JPDes., 2009)


En 1953, lors du premier recensement (très approximatif) effectué en République Populaire de Chine, le 14ème dalaï-lama avait lui-même dirigé les opérations au Tibet. Il était arrivé à un résultat de 1,2 millions d’habitants dans la Région Autonome. En 1964, lors de l’évaluation suivante, ce chiffre est resté stationnaire. Les partisans du 14ème dalaï-lama y ont vu l'indice d’un génocide. Tandis que les autorités chinoises rétorquent que le chiffre avancé en 1953 par les autorités tibétaines a probablement été quelque peu gonflé par les dirigeants tibétains, et qu'en outre, il fallait tenir compte des quelques 80.000 réfugiés qui ont fui le Tibet après la révolte de 1959.


En 1982, le nombre d’habitants était passé à 1,9 millions ; en 1992, il était de 2,1 millions et au début du 21ème siècle, il s'élevait à 2,7 millions. La population a presque triplé en 40 ans. Cette importante augmentation est surtout due à une meilleure espérance de vie : elle est passée de 36 ans dans les années cinquante à 67 ans aujourd'hui.

Toutefois, dans un rapport  de 1987(1), les Chinois étaient accusés devant le Sénat américain de ne pas avoir élevé l’espérance de vie au-dessus de 40 ans. Comme quoi, de sérieuses invraisemblances continuent à circuler à haut niveau.
La politique de l'enfant unique n’a jamais été appliquée aux Tibétains, mais elle était d'application pour les Chinois Han installés au Tibet. Depuis les années 80, le principe (non imposé) de trois enfants par famille est devenu l'objectif à atteindre, ce qui ramène le ménage tibétain à 5,2 personnes en moyenne.

Or dans la résolution sur le Tibet que le Gouvernement belge a unanimement approuvé le 27 juin 1996, on peut lire ceci : « Considérant que le nombre de Tibétains vivant au Tibet (U-Tsang, Kham et Amdo) s’élève à six millions d’âmes et que la superficie du Tibet est de 2,5 millions de km2, cela signifie 0,42 habitant par km2. Par conséquent, la politique de limitation de naissances chinoise, en raison de la faible densité de la population habitant au Tibet, ne peut être justifiée, et qu’elle n’est donc qu’un des moyens utilisés par la République Populaire de Chine pour réduire le nombre de Tibétains vivant au Tibet ». (2)


Notons tout d’abord que sur les 135 parlementaires présents, pas un seul n'a relevé cette grossière erreur de calcul : six millions d’habitants sur 2,5 millions de km2 est égal à 2,40 habitants par km2 et non 0,42. Ensuite, on doit faire remarquer que le territoire de 2,5 millions de km2 correspond à ce que le dalaï-lama appelle le « Grand Tibet », c'est-à-dire un territoire deux fois plus grand que l’actuel Tibet.

Le « Grand Tibet » est une entité fictive basée sur l'empire Tubo du 8ème siècle, mais même cet empire n'a jamais été « ethniquement pur ». Le texte de la Résolution laisse paraître que personne d'autre ne vit là que les 6 millions de Tibétains, ce qui est absolument faux. Où se trouvent les millions de musulmans Hui ? sans parler des Han ? et les Yi, les Naxi, etc. ? « Ils ne sont pas chez eux là-bas », dit la résolution qui les qualifient de « colonisateurs chinois ».

« Les Tibétains sont ainsi réduits à une minorité dans leur propre pays », continue le texte. Une telle manipulation de faits historiques de la part de nos représentants politiques frise l’impensable.

 

Notes :
(1) Avedon JF, le conseiller du 14ème dalaï-lama, a organisé la première tournée américaine du 14ème dalaï-lama. Il est l’auteur de « In exile from the Land of Snows », New York, 1984. Le rapport pour le “Senate Foreign Relations Committee” américain se trouve sur le site de l’ « US Tibet Committee » sous le titre de « Tibet Today » : current conditions and prospects, New York, 1987 ». Quantité d’autres positions dans ce rapport servent toujours de base aux accusations portées par le mouvement pour l’Indépendance contre la Chine.
(2) Résolution 445/5, saison parlementaire 95/96