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 « Urbanicide » chinois au Tibet ? Intox de Dharamsala (1)

par André Lacroix, le 31 mai 2017

Le site France-Tibet a publié le 18 avril 2017 un long article du Docteur Rinzin Dorjee, chercheur à l’Institut Politique du Tibet, un thinktank affilié à l’ « Administration centrale tibétaine à Dharamsala ». D’après lui, la Chine se livrerait à une urbanisation forcée au Tibet au détriment des populations locales et au bénéfice des « Chinois ethniques ». La Chine commettrait au Tibet rien de moins qu’un « urbanicide ».

 

 

Précisions sémantiques

Tout d’abord, faut-il parler d’urbanicide ou bien d’urbicide ? Les deux termes existent, joignant à la terminaison « cide » (venant du latin caedere = frapper, tuer, massacrer), soit le génitif de urbs, urbis = ville pour former urbicide, soit l’adjectif urbanus = urbain, de la ville, pour former urbanicide.

Dans sa concision brutale, le terme urbicide, employé pour la première fois par le Serbe Bogdan Bogdanovic, implique la volonté d’anéantir une ville en la rendant proprement inhabitable. Comme ce fut le cas à Coventry, Dresde ou Hiroshima pendant la Seconde Guerre Mondiale (voir, entre autres, le blog de Bénédicte Tratnjek : geographie-ville-en-guerre.blogspot.com/).

 

Mais on peut aussi détruire une ville sans forcément l’anéantir, en « se contentant » de frappes ciblées ou, simplement, en pourrissant la vie de ses habitants. Dans ce cas, le terme urbanicide me paraît plus indiqué, car ce qui est ici visé, c’est non la ville comme telle (même en cas de démolition de quartiers et de pertes d’habitants), mais l’urbanité, dans son sens de « caractère de mesure humaine et de convivialité conservé ou donné à une ville » (d’après le Petit Larousse).

On pense ainsi à des villes comme Tombouctou dont le réalisateur Abderrahmane Sissako, dans son film Timbuktu, a magnifiquement rendu l’atmosphère irrespirable créée par la politique de salafistes fanatiques (excellente analyse sur cafe-geo.net/tag/manouk-borzakian/).

 

On pense aussi à Gaza devenue, selon beaucoup d’observateurs, une prison à ciel ouvert, surtout depuis l’opération « Bordure protectrice » de l’été 2014 et du bouclage qui lui a succédé.

 

Dans un contexte moins violent, le concept d’urbanicide a aussi été employé par les habitants de Vallcarca, un quartier de Barcelone, pour illustrer le processus, entamé dès 1976, de spéculation et de lente destruction du tissu urbain et social (voir www.hyperville.fr/vallcarca-urbanicide-resilience-et-coproduction/).

 

Mentionnons également que de manière ironique, le chercheur italien Marco d’Eramo (disciple de Pierre Bourdieu), accuse l’UNESCO d’ « urbanicide en toute bonne foi », pour son classement au Patrimoine mondial de centaines de villes, devenues ainsi des mausolées dont les habitants sont remplacés par des touristes alléchés par les mêmes articles standard, que ce soit à Lisbonne, San Gimignano ou Luang Prabang (voir www.domusweb.it/en/op-ed/.../urbanicide_in_allgoodfaith.html).

 

S’agissant du Tibet, c’est encore un autre sens que Rinzin Dorjee donne au terme urbanicide :

« Ce que j’entends par ‘urbanicide’, écrit-il, c’est l’extinction de la culture et de l’identité tibétaines provoquée par l’afflux de millions de migrants chinois vers le Tibet. Dans le même temps, on expulse et exproprie les Tibétains vivant dans les zones rurales. Ainsi que le suggère Emily T. Yeh dans son ouvrage Taming Tibet, cela procède de la territorialisation du Tibet par le gouvernement chinois. »

 

Une nouvelle accusation ?

Dharamsala a d’abord accusé la Chine de génocide pur et simple (ou génocide physique) en inventant de toutes pièces en 1984 le chiffre aberrant de 1 200 000 victimes et en le ressassant depuis trente-trois ans usque ad nauseam. Puis apparut une autre accusation : l’entourage du dalaï-lama s’est mis à accuser la Chine de génocide culturel (parfois baptisé ethnocide), en recyclant les vieilles rancœurs provoquées par la Révolution culturelle – laquelle n’était pourtant pas anti-tibétaine, mais anti-élites toutes ethnies confondues et qui, de plus, terminée depuis belle lurette, a été remplacée dès 1977 par une politique de reconstruction des monastères et de revitalisation de la langue et de la culture tibétaines.

 

Comprenant sans doute que l’opinion internationale commence tout doucement à émettre des doutes sur ces soi-disant « génocide physique » et « génocide culturel », voilà maintenant qu’un thinktank de Dharamsala se livre à une nouvelle campagne contre Pékin en l’accusant cette fois d’urbanicide, sorte de « génocide démographique » qui aboutirait à étouffer le peuple tibétain et sa culture.

Shigatsé, décembre 2012 (photo Thérèse De Ruyt)
Shigatsé, décembre 2012 (photo Thérèse De Ruyt)


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