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Les Tibétains vont travailler ailleurs en Chine

par Jean-Paul Desimpelaere, le 24 novembre 2010

En 2009, près de 50.000 paysans et éleveurs tibétains ont été travailler temporairement dans d’autres provinces de la Chine. Ça fait beaucoup, près de 10% des forces de travail « superflues » du Tibet.

 

Comment se fait-il qu’il y ait des forces de travail excédentaires au Tibet ? D'une part, parce que la population a, à peu de choses près, triplé ces cinquante dernières années et d'autre part, parce qu’étant donné les changements climatiques, il est impossible d'augmenter la surface des terres à cultiver ou à pâturer. Par ailleurs, l’industrie est encore peu développée au Tibet, ce qui a – en partie – été voulu par le gouvernement pour des raisons environnementales, et aussi parce qu’il ne semblait pas rentable d’investir dans la production sur ces hauteurs reculées.

Aujourd’hui, il y a du changement dans l'air : il est urgent d'utiliser ces «  forces de travail superflues ». Des projets sont posés sur la table, comme des petites industries axées sur les besoins de consommation locaux. En parallèle, les infrastructures touristiques et la production artisanale continuent de recevoir des subsides pour leur développement. En attendant, le gouvernement local canalise les « sans-emploi » vers des projets de construction, ailleurs en Chine. Il s'agit d'une solution temporaire, mais qui rapporte de l’argent aux travailleurs émigrés tibétains : environ 600 euros supplémentaires par personne et par an.

Ce ne sont pas seulement les travailleurs peu qualifiés qui quittent le Tibet pour aller travailler à l’intérieur de la Chine, voire émigrent. Bon nombre d’étudiants tibétains reçoivent une bourse pour être formés dans la partie plus développée de la Chine. Certains y trouvent ensuite un emploi et s’y installent. Il y a naturellement aussi des universitaires tibétains qui travaillent dans les instituts de tibétologie à Chengdu ou à Beijing, par exemple. Il y a même des Tibétains diplômés de la marine ! En 2005, sept Tibétains sont ainsi entrés en service chez un armateur à Shanghai.

...et il y aussi des touristes tibétains à Pékin (photo JPDes. 2008)
...et il y aussi des touristes tibétains à Pékin (photo JPDes. 2008)

Le Tibet est à la mode dans le reste de la Chine, et certains Tibétains s’en rendent bien compte. À Kunming, le chef-lieu de la province du Yunnan, il y a maintenant une « rue tibétaine », dans le district de Fengning. Et ce n’est pas qu’à Kunming, à Beijing et à Shanghai aussi, la culture tibétaine est à la mode, avec des échoppes d’artisanat, des ateliers de peintres tibétains, des expositions d'art tibétain contemporain, etc.

Dans toutes les grandes villes de Chine, on voit apparaître des restaurants tibétains, avec d’authentiques propriétaires et chefs de cuisine tibétains. Pourtant les Tibétains n'ont pas une tradition culinaire à vous faire saliver. Le thé salé au beurre rance passe difficilement, tant sur nos papilles que sur celles des Chinois. La viande séchée de mouton, de chèvre ou de yack passe un peu mieux, mais avaler des boulettes de pâte trempées dans le thé au beurre est hors de question. Comment se fait-il alors que les restaurants tibétains aient du succès dans le reste de la Chine ? Surtout parce qu’on y chante et danse à la façon traditionnelle tibétaine et qu’on y sert de l'alcool et de la bière d’orge... et aussi parce que les menus sont autant adaptés aux Chinois que les restaurateurs chinois les adaptent pour nous en Europe.

À Paris aussi, j’ai récemment vu un restaurant « tibétain ». Ce sont là « d’autres » Tibétains, pas ceux de l’actuel Tibet, mais les « émigrés ». Sur leur vitrine – ça va de soi – le drapeau des séparatistes Tibétains (qu'on appelle, de manière erronée, le « drapeau tibétain »). Au menu, j’ai trouvé du steak et des scampis à la noix de coco ; pas de yack ni de thé au beurre. À Paris, les restaurants tibétains ont l’indépendance au menu, cela s'accompagne de sauce à la noix de coco ! Le Tibétain moyen n’a pourtant jamais vu de noix de coco, sans parler de la sauce. D'après ce que décrit Alexandra David-Neel dans ses récits de voyage, au début du 20ème siècle, la noblesse tibétaine connaissait quelques plats exotiques, mais il s'agissait des plats qu’un cuisinier chinois leur préparait... nulle trace de noix de coco !

lors d'une expo d'art tibétain au quartier SongZhuang à Pékin (photo JPDes. 2008)
lors d'une expo d'art tibétain au quartier SongZhuang à Pékin (photo JPDes. 2008)