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Le vrai et le faux 11ème panchen-lama

par Jean-Paul Desimpelaere, le 2 mai 2010

Il arrive régulièrement que l’on me pose des questions sur le triste sort du « vrai » 11ème panchen-lama, celui qui a été désigné en 1995 par le 14ème dalaï-lama comme étant la réincarnation du 10ème panchen décédé en 1989 et devant donc lui succéder. En effet, quelques jours après que le dalaï-lama ait rendu son choix public, le jeune successeur et toute sa famille ont été « évacués » par les autorités chinoises. Au Tibet, on prétend qu’ils ont été « achetés » (ils ont une belle situation à Pékin) et interdits de tout contact avec des étrangers, des journalistes et des monastères. Les défenseurs du dalaï-lama expliquent que Pékin aurait désigné ensuite un autre successeur « proche du parti », voire « fils d’un cadre du parti », dans le but de rallier le Tibet à leur propre cause. Depuis près de quinze ans, des photos du « jeune garçon disparu » sont exhibées lors de manifestations pro-indépendance à l’étranger en commentant qu'il s'agit du « plus jeune prisonnier politique du monde ». Mais qu'en est-il réellement ?

 

Sans trop entrer dans les détails, réajustons certaines idées reçues et répandues entre autres par des sympathisants du dalaï-lama, à propos de qui est le panchen-lama et de quel est son rôle.

Tout d'abord, le panchen-lama est-il le « deuxième » dans la hiérarchie religieuse du Tibet, une sorte de « sous-pape » ?

Non, c’est presque le contraire. Historiquement, le premier panchen-lama (Khedrup Je, 1385–1438) fut un des deux premiers disciples de Tsongkapa (1357-1419), fondateur de l’école Gelukpa du bouddhisme tibétain, ou l'école des Bonnets jaunes. Tsongkapa et ses deux premiers disciples sont révérés au Tibet comme une sorte de « sainte trinité ».

Le premier dalaï-lama (Gendun Drup, 1391-1474) est le neveu de Tsongkapa, devenu aussi son disciple, mais plus tardivement. Lui et ses trois successeurs ont été nommé « dalaï » de manière posthume. Le 5ème dalaï-lama (Lobsang Gyatso, 1617-1682) a été mis en place par Gushri Khan au 17ème siècle et s’est emparé du pouvoir politique au Tibet. Depuis lors, la lignée des dalaï-lamas a eu plus d’influence dans tous les domaines.

Par ailleurs, les dalaï-lamas séjournaient dans la capitale Lhassa, tandis que les panchen-lamas vivaient à Xigaze et dirigeaient la région de Xigaze, la deuxième ville la plus importante du Tibet.

Les réincarnations du panchen-lama étaient-elles désignées par les dalaï-lamas ?

Non. C’étaient les lamas du monastère de Tashilumpo, situé à Xigazé, région d’origine des panchen-lamas, qui menaient à bon terme la recherche de la réincarnation. Les dalaï-lamas donnaient leur accord ou leur veto, au même titre que l’Empire chinois, et plus tard la République.

Le 10ème panchen-lama est-il parti en exil en 1959 avec le dalaï-lama ?

Non, il n'est pas parti en exil, il est resté au Tibet. Les dalaïstes affirment que « il s’est opposé à l’autorité communiste et, déjà en 1964, il revendiquait l'indépendance du Tibet, cela lui a valu 13 ans de prison ». En réalité, le 10ème panchen-lama n’a jamais lancé d’appel pour un « Tibet indépendant », il se distanciait clairement du 14ème dalaï-lama. Mais durant la Révolution Culturelle en Chine, il a été « mis de côté » et il a été forcé de vivre en résidence surveillée dans le temple lamaïste de Pékin. Il a été réhabilité en 1978. Ensuite, il a reçu d’importants budgets pour reconstruire et rénover des temples au Tibet. Entre autres, à Xigaze, il a fait construire un grand mausolée pour y redéposer les dépouilles des cinq panchen-lamas précédents dont les stupas ont été démolis par les Gardes rouges tibétains (!) lors de la révolution culturelle.

Qu'en est-il de sa succession ?

Le dixième panchen-lama est décédé en janvier 1989 à Xigaze suite à un arrêt cardiaque. Afin de trouver sa réincarnation, un comité de hauts lamas du monastère Tashilumpo de Xigaze se mit à la recherche d’enfants qui correspondaient à la description du panchen-lama défunt et de signes surnaturels. Le 24 janvier 1989, soit quatre jours avant sa mort, le dixième panchen-lama avait en effet déclaré lors d’un symposium de hauts lamas que son successeur devrait être choisi parmi les trois meilleurs candidats selon la méthode traditionnelle de tirage au sort dans l’urne d’or devant la statue de Sakyamuni dans le temple de Jokhang. Le comité du monastère de Tashilumpo suivit ses recommandations. Fin 1994, le comité a rassemblé sept jeunes candidats et se préparait à sélectionner les trois meilleurs afin de les faire participer au tirage au sort, et de présenter le résultat à Pékin.

C’est à ce moment-là que le 14ème dalaï-lama est intervenu, ceci grâce à un des lamas du monastère de Tashilumpo qui entretenait une correspondance secrète avec lui. En mai 1995, le dalaï-lama a désigné un autre enfant comme le successeur approprié, ceci sans en discuter avec Pékin et sans tirage au sort. Or depuis le 18ème siècle, la procédure de nomination de la réincarnation d’un haut lama est légiféré en Chine. Cette loi est encore d’application aujourd'hui. L’actuel dalaï-lama a saisi l’occasion de briser cette pratique en désignant lui-même, de l’extérieur et unilatéralement, le successeur du panchen-lama.

Le responsable du monastère de Tashilumpo s’y est immédiatement opposé, estimant que par ce choix, le dalaï-lama foulait aux pieds les règles traditionnelles du bouddhisme tibétain. Il a ajouté que la date de naissance de l’enfant avait été falsifiée, qu'en réalité l'enfant était né avant avant la mort du 10ème panchen-lama, ce qui est contraire aux règles. Nous ne savons pas si ce dernier point est correct, mais en tout cas, la procédure normale suivit son cours en Chine.

Le tirage au sort eut lieu en novembre 1995 et désigna l'actuel 11ème panchen-lama. Ce dernier a, entre temps, terminé ses études et parcourt le Tibet et ses territoires limitrophes. L’autre enfant, désigné par le Dalaï-lama, a effectivement été « placé à l'écart » avec sa famille... et est devenu la mascotte du mouvement d’indépendance à l’étranger. Depuis quinze ans, les dalaïstes, USA en tête, exploitent l'image de « l'enfant volé » comme arme contre la Chine.