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Lettre ouverte au quotidien Le Soir suite à l'article de Capdevielle : « Péril en la demeure du dalaï-lama »

par André Lacroix, le 12 septembre 2013

Le Soir des 7 et 8 septembre 2013 publie, sur une demi-page, un article intitulé Péril en la demeure du dalaï-lama, sous la signature d’une certaine Sarah Capdevielle. Sans me prononcer sur les menaces qui pèseraient sur la maison natale du 14e dalaï-lama, je me borne à relever deux contre-vérités – largement diffusées par les indépendantistes tibétains – qu’un journal sérieux devrait s’abstenir de répercuter.

 

Selon Mme Capdevielle, l’armée chinoise aurait contraint le 14e dalaï-lama à fuir le « Toit du Monde » dans la nuit du 17 mars 1959. La réalité est tout autre. Maintenant que les archives (anglaises et américaines) sont largement disponibles, on ne peut plus accorder foi à cette fable.

Pékin n’avait aucun intérêt à voir s’éloigner un interlocuteur privilégié. Ce qui s’est effectivement passé, c’est que, le 17 mars 1959, le dalaï-lama a pris la fuite, sous la protection de la CIA qui lui a parachuté provisions et argent tout en mitraillant les positions chinoises (voir, notamment, T. D. Allman, A Myth foisted on the western world in Nation Review, January 1974). Et cette fuite avait été soigneusement programmée.

Dès 1950, les dignitaires tibétains avaient eu soin de planquer l’immense trésor du Potala dans les caves du maharadja du Sikkim (cf. Mon combat pour un Tibet moderne. Récit de vie de Tashi Tsering, 2010, p. 72-73). Et en 1951, l’ambassadeur des États-Unis à Delhi avait écrit au jeune dalaï-lama : partez du Tibet, nous vous donnerons de l’argent pour vous et 100 personnes de votre suite et nous soutiendrons une résistance armée (Melvyn Goldstein, A History of Modern Tibet, Volume II, 1951-1956, pages 231-232).

Autre assertion pour le moins contestable : Entre 1965 et 1976, on recense plus de 10.000 temples et monastères détruits par les gardes rouges. De quel chapeau Mme Capdevielle tire-t-elle ce chiffre ? Selon les tibétologues crédibles, comme, par exemple, les professeurs américains Melvyn Goldstein et Tom Grunfeld, le nombre total d’édifices religieux distribués sur le « Grand Tibet » n’a jamais excédé 3500, dont 2000 à 2500 situés en Région autonome du Tibet.

Bien sûr, la Révolution culturelle a provoqué au Tibet des dégâts considérables : personne ne peut nier ce fait regrettable. Mais il faut remarquer tout d’abord que beaucoup de monastères censés avoir été détruits par la Révolution culturelle étaient déjà en ruine ; la démolition du monastère de Gyantse date de 1904 : elle a été l’œuvre du Colonel Yonghusband ; quant au monastère de Tengyeling, il a été complètement rasé en 1914 par le 13e dalaï-lama parce qu’il jugeait ce monastère trop prochinois…

Deuxième remarque soigneusement occulté par les adeptes du Free Tibet : parmi les gardes rouges ayant sévi au Tibet, il y avait des Chinois, mais aussi pas mal de Tibétains, tout heureux de se venger d’un millénaire d’humiliation cléricale en incendiant des monastères, comme l’avaient fait les paysans lors de la Révolution française (voir Jean-Paul Desimpelaere, Les monastères détruits, sur le site www.tibetdoc.eu, rubrique : histoire → 20e siècle → Révolution culturelle, 16/02/2009).

Ce n’est, hélas, pas la première fois que Le Soir se laisse aller, à propos du Tibet, à relayer des bobards. Je songe notamment au reportage fantaisiste et partial de Philippe Dutilleul publié dans Le Soir en juillet 2009, sous le titre Tibet, l’improbable pays conquis : un ramassis d’erreurs et d’approximations.

Je songe à un article de Daniel Couvreur publié dans Le Soir des 19 et 20 mai 2012, qui reprenait, sans le moindre esprit critique, le chiffre complètement aberrant d’1,2 millions de morts, inventé de toutes pièces par le « gouvernement tibétain en exil » à Dharamsala. Dans les deux cas, Le Soir n’a pas daigné publier la moindre mise au point. J’espère qu’il en ira autrement cette fois-ci, à propos des assertions de Mme Capdevielle.

Je vous en remercie d’avance et vous prie d’agréer, Monsieur le Rédacteur en Chef, l’expression de ma considération distinguée.