Le Parlement européen et les « droits de l’homme » au Tibet, 1ère partie : deux poids, deux mesures

par Albert Ettinger, le 16 février 2018

Le 18 janvier 2018, le Parlement européen adopta une résolution « sur les cas des militants pour les droits de l’homme Wu Gan, Xie Yang, Lee Ming-che et Tashi Wangchuk, ainsi que du moine tibétain Choekyi. » (1) C’est loin d’être la première du genre. Au cours des années, un nombre considérable de résolutions critiquant des « violations des droits de l’homme » en Chine et en particulier au Tibet ont été adoptées par les parlementaires. Mais ces résolutions en disent peut-être plus sur la vision du monde de la majorité des parlementaires européens que sur l’état des droits de l’homme au Tibet et en Chine.

 

 

Choekyi, le panchen-lama choisi par le dalaï-lama en 1995 (photo publiée par « France-Tibet » le 17-05-2005)
Choekyi, le panchen-lama choisi par le dalaï-lama en 1995 (photo publiée par « France-Tibet » le 17-05-2005)

 

La hiérarchie des droits humains… que l’Occident voudrait inverser

Quand les tenants occidentaux du libéralisme critiquent la situation « des droits de l’homme » dans un pays qu’ils considèrent comme un concurrent économique et un adversaire géostratégique – surtout si son gouvernement n’est pas assez complaisant envers le leur ou, pire encore, envers l’oncle Sam –, ils ne parlent pratiquement jamais des droits les plus élémentaires et les plus importants, ni des droits de la grande majorité des gens.

En effet, rappelons-nous que la plupart des êtres humains qui peuplent cette planète ne sont ni propriétaires ou éditeurs de journaux, ni journalistes de carrière, ni blogueurs, ni « activistes », ni « avocats des droits de l’homme » - des « droits de l’homme » comme on les définit à Washington.

Rappelons-nous encore que le premier droit de l’homme est son droit à la vie. Mais pas à n’importe laquelle : pas à une vie de misère, ni à une vie qui se termine prématurément faute de soins médicaux accessibles ; pas à une vie qui ne dure que quelques maigres années avant qu’on ne meure d’une maladie parfaitement évitable et curable, de malnutrition ou de faim ; pas non plus à une vie passée dans la peur constante d’être déchiqueté ou estropié par une bombe, etc.

Rappelons-nous enfin que la plus grande violation, entre toutes, des droits de l’homme, c’est la guerre, qui est la mère de tous les maux. Les plus grands ennemis des droits humains sont par conséquent les fauteurs de guerre qui, de nos jours, aiment justement invoquer les « droits de l’homme », façon Pentagone, comme prétexte à leurs guerres « humanitaires ».

 

Une des victimes des bombes américaines dans un hôpital à Fararh city. Au moins 147 civils, parmi eux beaucoup de femmes et d’enfants, furent massacrés le 4 mai 2009 lors des frappes aériennes qui touchèrent les villages de Gerani et de Gangabad dans le district de Bala Baluk, Province de Farah, dans l’ouest de l’Afghanistan. Source : Wikimédia commons
Une des victimes des bombes américaines dans un hôpital à Fararh city. Au moins 147 civils, parmi eux beaucoup de femmes et d’enfants, furent massacrés le 4 mai 2009 lors des frappes aériennes qui touchèrent les villages de Gerani et de Gangabad dans le district de Bala Baluk, Province de Farah, dans l’ouest de l’Afghanistan. Source : Wikimédia commons

 

La deuxième plus grande violation des droits de l’homme, c’est l’exploitation économique, source non seulement de misère, mais aussi de servitude.

 

Un « deux poids, deux mesures » scandaleux

Ces parlementaires qui s’élèvent à Strasbourg contre des « violations des droits de l’homme » en Chine représentent des pays qui sont engagés depuis 16 ans, aux côtés de la superpuissance américaine, dans une terrible guerre en Afghanistan, pays voisin du Tibet. Il s’agit d’une guerre illégale selon tous les critères du droit international, d’une guerre d’intervention et d’agression, comme l’étaient celles qui ont détruit l’Iraq et la Libye, avec l’implication active de l’UE. La majorité de ces parlementaires sont de ce fait complices des plus terribles violations des droits de l’homme.

Quand, dans leur résolution antichinoise, ces parlementaires rappellent que l’UE s’est engagée à œuvrer « en faveur de la démocratie, de l’état de droit et des droits de l’homme dans tous les domaines de son action extérieure, sans exception » et qu’elle « placera les droits de l’homme au cœur de ses relations avec l’ensemble des pays tiers, y compris ses partenaires stratégiques », ils ne font que révéler l’énormité de leur hypocrisie. Car – et ce n’est qu’un exemple – ni la Commission européenne, ni le Parlement européen dans sa grande majorité, ni les principaux États membres, ni, à plus forte raison, l’OTAN n’ont la moindre velléité de changer quoi que ce soit aux rapports privilégiés qu’ils entretiennent à tous les niveaux, économique, politique, militaire et stratégique, avec l’État d’Israël.

Or, quelque « 6.500 Palestiniens sont actuellement dans les geôles israéliennes. Parmi eux, 300 mineurs. Depuis la deuxième intifada en 2000, plus de 8.500 enfants ont été interpellés par les forces de sécurité. » (2) Les mêmes parlementaires qui, apparemment, s’offusquent d’une demi-douzaine de décisions de justice en Chine et en prennent prétexte pour demander des sanctions, font les trois singes de la sagesse (les singes de l’iconographie asiatique qui s’efforcent de ne rien voir, de ne rien entendre et de ne rien dire) quand il s’agit de leur proche allié Israël. Celui-ci, par exemple, «  se sert de la détention administrative comme une véritable politique depuis 1948, et y a progressivement eu recours dans tous les territoires conquis depuis 1967. Depuis des dizaines d'années, des milliers de Palestiniens ont été emprisonnés en tant que ‘détenus administratifs’ sans qu'aucun d'entre eux ne soit informé de la raison de son emprisonnement. » (3)

 

En Chine, un immense essor des droits de l’homme

En 2008, le journaliste allemand Georg Blume (4), correspondant en Chine du très renommé hebdomadaire Die Zeit et du quotidien Die Tageszeitung et bénéficiaire, en 2007, du Liberty Award pour ses reportages sur les droits de l'homme et des scandales écologiques en Chine, publia un petit livre-choc portant le titre La Chine n’est pas un empire du mal (5) dont je voudrais citer, en les traduisant, quelques phrases-clé.

Après avoir constaté qu’en Chine, le revenu national avait triplé dans l’espace de quelques décennies et que, désormais, ses voisins chinois roulaient en voiture, Blume ajouta cette réflexion : « Quel bénéfice énorme cela représente en termes de dignité humaine dans une société marquée encore il y a trente ans par la faim, la misère et la peur du lendemain ne semble plus concevable pour nous autres nantis. Sinon, comment s’expliquer la critique occidentale, formulée sans la moindre gêne et sans la moindre réserve, à l’encontre de la Chine au sujet des droits de l’homme ? » Et un peu plus loin, Blume avoue qu’il « n’arrive pas à comprendre les reproches unilatéraux, sans imagination et sans le moindre sens de l’histoire, qu’on adresse aux communistes de Pékin.

 

Les communistes ont libéré, au cours des trente dernières années, bien plus de 400 millions de leurs citoyens de la faim et des préoccupations quotidiennes. De ce fait, le PC a fait plus qu’aucune autre force politique de l’histoire humaine pour la réalisation de l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Cet article garantit à chaque être humain le droit à la vie.

Pour nous, cela n’est qu’une banalité. Ce qui nous importe, ce sont les libertés politiques qui ne sont pas accordés en Chine. Mais est-ce que ce n’était pas la même chose dans notre histoire à nous ? Est-ce que Henri Heine ou Georg Büchner ne combattaient pas eux aussi surtout pour le droit à la vie ? » (6)

On se souvient que le Parlement européen, sa majorité du moins, a accueilli le dalaï-lama à plusieurs reprises et à bras ouverts. Dans sa récente résolution, la majorité « réitère l’appel adressé au gouvernement chinois pour qu’il noue le dialogue avec Sa Sainteté le dalaï-lama et ses représentants ». Au nom de quoi ? Des « droits de l’homme » ? Les parlementaires ignorent-ils que sous le règne de « Sa Sainteté », il n’y avait au Tibet ni droits politiques ni dignité humaine. À moins qu’une espérance de vie à peine supérieure à 30 ans, des peines corporelles allant de quelques centaines de coups de fouet jusqu’à l’amputation des mains et des pieds en passant par l’énucléation, et l’existence de neuf catégories sociales ou castes au regard de la loi ne soient, à leurs yeux, compatibles avec leur conception des droits de l’homme.

 

Droits de la femme et de l’enfant au Tibet moderne

Lors du 19e Congrès national du Parti communiste chinois qui s’est tenu en octobre de l’an passé à Pékin, une personne a été l’objet d’une attention médiatique particulière. Il s’agit d’une femme, d’une femme éduquée en plus, et surtout : d’une femme tibétaine.

Tsering Paldron, c’est son nom, est une gynécologue de la région de Ngari (Ali en chinois), à l’ouest de la RAT (Région autonome du Tibet.)

La gynécologue tibétaine Tsering Paldron à Pékin, lors de son interview (Source : China Tibet Online)
La gynécologue tibétaine Tsering Paldron à Pékin, lors de son interview (Source : China Tibet Online)

 

Dans une interview donnée dans le cadre du 19e Congrès, elle parla des progrès des soins médicaux relatifs aux femmes enceintes, aux parturientes et aux nouveau-nés en soulignant que « les taux de mortalité maternelle et néonatale au Tibet ont encore diminué ». Cette évolution positive est due, selon elle, à plusieurs causes. « La vie des gens s’est améliorée » de même que leur « conscience quant à l’importance de voir un médecin », et les liaisons de transport sont meilleures. De plus, l’ « État a introduit un certain nombre de politiques de santé maternelle et infantile » : le « transport à l'hôpital » peut « être remboursé, tout comme les coûts des soins infirmiers », de sorte que les femmes enceintes sont plus « disposées à être hospitalisées pour accoucher ». Un facteur supplémentaire a été « le lancement des projets d’aide au Tibet ». Des « médecins d’aide au Tibet enseignent et travaillent main dans la main avec les médecins tibétains de la région d’Ali, et le niveau technique des médecins locaux s'est amélioré. » (7)

Il faut savoir qu’au Tibet de l’Ancien Régime, les femmes étaient considérées comme inférieures dans tous les domaines et n’avaient accès ni à l’éducation ni à une carrière monastique ou politique, bien qu’elles devaient se charger (celles du peuple) de tous les travaux pénibles. Les filles étaient mariées de force, sans pouvoir choisir leur mari. Les parturientes devaient donner naissance à leur enfant hors de la pièce d’habitation, dans une étable ou une grange, sans l’aide d’une sage-femme ou, a fortiori, d’un gynécologue. La mortalité infantile était telle que, par exemple, la mère du dalaï-lama eut seize enfants dont neuf moururent en bas âge.

 

Le Tibet n’est pas l’Afghanistan

Le site en langue anglaise Global Research vient d’ailleurs de publier, le 7 janvier 2018, un article sur les droits de l’homme, et plus spécialement de la femme et de l’enfant, au Tibet et en Afghanistan. (8) L’idée de comparer la situation sur ces deux territoires peut sembler à première vue saugrenue. En réfléchissant un peu, elle le semble beaucoup moins.

Ce sont des territoires voisins qui ont au moins un point commun. Tous les deux ont été « libérés », l’Afghanistan des talibans par une coalition des principaux États de l’OTAN et le Tibet par le gouvernement communiste de Pékin. Tous les deux ont été parmi les régions les plus sous-développées et les plus pauvres de la terre. Tous les deux ont connu, avant la « libération », des régimes féodaux et théocratiques. Une différence majeure est que le Tibet fut libéré par un gouvernement issu d’une longue guerre de résistance et d’une guerre civile, l’une aussi dévastatrice que l’autre, et qu’il était à la tête d’un pays pauvre du tiers-monde, tandis que l’Afghanistan est occupé par une coalition formée par les États les plus riches et économiquement évolués du globe. Des États qui auraient, s’ils le voulaient, des moyens sans pareils d’aider la population afghane. Le titre de l’article indique déjà de façon succincte le bilan que dresse Gideon Polya, l’auteur. « La grande réussite de santé publique au Tibet comparée au meurtre de masse passif des femmes et des enfants afghans par l’alliance U.S. » (9)

 

Notes :

  1. http://www.tibet.fr/actualites/resolution-parlement-europeen-18-janvier-2018-cas-militants-droits-de-lhomme-wu-gan-xie-yang-lee-ming-che-tashi-wangchuk-ainsi-moine-tibetain-choekyi/
  2. http://geopolis.francetvinfo.fr/israel-300-prisonniers-palestiniens-ont-moins-de-18-ans-141497
  3. http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/03/05/palestine-israel-la-detention-administrative-un-deni-du-droit_1842948_3232.html
  4. https://fr.wikipedia.org/wiki/Georg_Blume
  5. China ist kein Reich des Bösen. Trotz Tibet muss Berlin auf Peking setzen. Ein Standpunkt von Georg Blume, herausgegeben von Roger de Weck, Edition Körber-Stiftung
  6. China ist kein Reich des Bösen, p. 32
  7. China Tibet Online, 24 octobre 2017
  8. https://www.globalresearch.ca/chinas-tibet-health-success-versus-passive-mass-murder-of-afghan-women-and-children-by-us-alliance/5625151
  9. Titre anglais original : “China’s Tibet Health Success versus Passive Mass Murder of Afghan Women and Children by US Alliance”