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Paroles de dalaï-lama

par Maxime Vivas, le 7 août 2010

Ci-dessous, un extrait d’une série d’articles de Maxime Vivas à lire aussi en ligne : Le Grand Soir

Que veut le dalaï-lama ? Indépendance ? Autonomie ? Démocratie ? Théocratie ? Les réponses sont données ici par des extraits de discours et des écrits du dalaï-lama. Au-delà des astuces de langage, les mots révèlent sa pensée profonde. La différence entre un Corse attaché à un statut spécial de l’île et un Corse qui milite pour l’indépendance, est que le premier désignera l’Hexagone par « Le continent ».

Le second dira : « La France », soulignant ainsi qu’il s’agit d’un pays étranger. La méthode vaut en tous lieux et pour chacun. Elle est particulièrement pertinente dans le cas qui nous occupe. En effet, à côté des Tibétains, cohabitent en Chine 55 ethnies. Les désigner toutes sous le nom de « Chinois » en s’en démarquant, c’est bien revendiquer une spécificité à nulle autre pareille, toutes les ethnies étant chinoises aux yeux du dalaï-lama, sauf une : celle sur laquelle il régna et sur laquelle il entend à nouveau exercer son pouvoir de Dieu vivant en le parant, pour la galerie, des oripeaux de la démocratie telle qu’il la voit au jour le jour, en fonction de la conjoncture et de son bon vouloir.

 

Indépendance ? Autonomie ?

Discours du dalaï-lama : « Plan de paix en cinq points, adressé au comité congressiste des Droits de l’Homme des Etats-Unis le 21 septembre 1987 ».

 

Extraits :

Le dalaï-lama, commence par s’adouber lui-même : « Je m’adresse aujourd’hui à vous en tant que chef des Tibétains… » (En fait, le dalaï-lama représente une seule des 4 écoles bouddhistes du Tibet, moins de 2% des bouddhistes du monde et 100% des espoirs de la CIA en Chine).

« Quand la toute nouvelle République populaire chinoise a envahi le Tibet… » « C’est l’occupation illégale du Tibet par la Chine… » « Il ne fait aucun doute que, lorsque les armées communistes de Pékin ont envahi le Tibet, celui-ci était en tout point un Etat indépendant… » « Alors que l’occupation militaire de la Chine se poursuit au Tibet, le monde devrait se souvenir que – bien que les Tibétains aient perdu leur liberté – le Tibet demeure encore aujourd’hui un Etat indépendant illégalement occupé… » « En 1982, j’ai envoyé mes représentants dans la capitale chinoise […] pour ouvrir un dialogue au sujet de l’avenir de mon pays et de mon peuple. » « Je souhaite […] un avenir empreint d’amitié et de coopération avec nos voisins, y compris le peuple chinois. » « Les Tibétains, les Chinois, sont des peuples différents… »

Discours ancien, dira-t-on, le dalaï-lama a évolué. Il est vrai que son programme indépendantiste s’édulcore au fil des ans et des échecs, reculs troués çà et là par d’irrépressibles appels à l’indépendance qui jaillissent comme un cri du cœur incontrôlé.

Le dalaï-lama est un général défait qui se replie « sur des positions préparées en avance ». Mais c’est l’art de la guerre, pas celui de la paix. Lisons ce qu’il dit, le 12 mai 2008, dans une interview accordé au magazine « Der Spiegel » : « Après des années d’oppression les Tibétains ne font plus confiance aux Chinois ». Persiste et signe !

La guerre ? Il en parle justement dans le même interview où le pacifisme du chef religieux n’apparaît pas consubstantiel de sa pensée, mais imposé par le rapport des forces. Et nous allons bien lire qu’il emploie deux fois le mot « indépendance » : « Les Tibétains doivent-ils prendre les armes pour conquérir cette indépendance ? Quelles armes, d’où ? Des Moudjahidines au Pakistan, peut-être ?

Et si nous les obtenons, comment les ferons-nous passer au Tibet ? Et si la guerre d’indépendance commence, qui nous viendra en aide ? Les Américains ? Les Allemands ? ».

A cette question, une réponse au parfum d’appel au Pentagone avait été donnée par sa Sainteté le 29 avril 2005 à des sénateurs français (1) venus le voir dans son exil indien : « La politique américaine veut promouvoir la démocratie en Irak et en Afghanistan, par des méthodes parfois controversées.

Je dis tant mieux, c’est bienvenu. Mais ce serait encore mieux si la démocratie était promue en Chine » (2).

 

Démocratie ? Théocratie ?

« Tandis que les Tibétains en exil exercent leurs droits démocratiques sous une Constitution que j’ai moi-même promulguée en 1963… » (discours cité).

« Nous avons récemment initié des changements qui, plus tard, démocratiseront et renforceront notre administration en exil » (In : « Bouddhisme et démocratie, Washington D.C., avril 1993 ». Dans ce texte, fait de généralités sur la démocratie, le dalaï-lama avance : « Pour plusieurs raisons, j’ai décidé que je ne serai ni le chef ni ne jouerai de rôle au gouvernement quand le Tibet deviendra indépendant. »

Notons le royal « J’ai décidé » ainsi que l’espoir d’un Tibet « indépendant » et lisons la suite : « Le futur chef du gouvernement tibétain doit être une personne reconnue et élue par le peuple ».

Dans son discours au Parlement européen à Strasbourg le 24 octobre 2001, il poursuit dans ce sens : « Cette année, nous avons accompli une autre grande avancée dans le processus de démocratisation en faisant élire le Président du Cabinet tibétain au suffrage universel ». Mais il ajoute aussitôt que ce parlement et les députés se borneront à « diriger les affaires courantes… », le rôle principal lui étant toujours dévolu : « Toutefois, je considère comme un devoir moral envers les six millions de Tibétains, de continuer à travailler à la question tibétaine avec les dirigeants chinois et d’agir en tant que libre porte-parole des Tibétains jusqu’à ce que nous soyons parvenus à une solution. ».

Libre porte-parole ! Il reprendra la formule dans son discours, qualifiant les Tibétains de « mon peuple » à la manière des monarques. Dans le même discours, il définit ce qu’il appelle « la voie du milieu », une transition de fait vers l’indépendance qui ne laisserait à Beijing que la charge d’assurer de loin la sécurité et les relations extérieures d’un Tibet où les moines exerceraient à nouveaux tous les pouvoirs en matière d’éducation, de culture, d’environnement, d’économie.

Le 10 mars 2008 à Dharamsala (Inde), il prononce un discours où il prétend que la langue, les coutumes et les traditions du Tibet s’effacent peu à peu. Il fustige l’organisation des régions autonomes (« Ces lieux n’ont d’autonome que le nom ») et se réinvestit dans le rôle de porte-parole des Tibétains : « … J’ai la responsabilité historique et morale de continuer à m’exprimer librement en leur nom ».

En 2008, à l’approche des jeux olympiques de Beijing, montent à l’étranger (notamment à Paris) des campagnes sur la question tibétaine qui ulcèrent la population chinoise. Le dalaï-lama commettrait une erreur majeure en ne s’en démarquant pas. Il importe pour lui de se dissocier de ceux qui peuvent apparaître comme les ennemis de la Chine. Aussi, le 28 mars 2008, il lance un « Appel au peuple chinois » où l’on croit rêver en lisant : « Frères et sœurs chinois, je vous assure que je ne désire nullement obtenir la séparation du Tibet ni même brouiller les peuples tibétains et chinois. »

Et encore, il se dit inquiet en tant « que personne qui se sent prête à se considérer comme un membre de cette grande famille qu’est la République populaire de Chine », s’étonnant d’une injuste suspicion : « Il est regrettable qu’en dépit de mes efforts sincères de ne pas séparer le Tibet de la Chine, les dirigeants de la République populaire de Chine continuent de me dénoncer comme « séparatiste ». Suspicion incroyable, en effet !

Le 6 avril 2008, dopé par les manifestations de Lhassa, il lance un appel « A tous les Tibétains » où il jure : « j’ai décidé (ah, ce démocratique « j’ai décidé » ! N. de MV) de trouver une solution au sein même de la structure de la République populaire de Chine ». Remarquons qu’il dit ainsi a contrario que les solutions antérieures qu’il cherchait se situaient « en dehors de la structure ».

Faut-il d’autres exemples issus, non pas du gouvernement central de Beijing, mais de la bouche du dalaï-lama pour se persuader que la lutte pour l’indépendance, pour un Tibet théocratique dont il serait le chef, n’a jamais cessé d’être à l’ordre du jour et que seule la manière de la mener fluctue en fonction des circonstances ?

Lisons quelques extraits de la « Charte » du dalaï-lama, ayant valeur de Constitution.

Article 3. Nature de la politique tibétaine. « L’avenir politique tibétain doit respecter le principe de la non-violence et s’efforcent d’être un libre État de la protection sociale avec sa politique guidée par le Dharma ». Le Dharma, c’est-à-dire ce que les musulmans appellent la Charria, disposition qui nous fait pousser des hauts cris.

La Charte se termine par une « Résolution spéciale », votée en 1991, dont voici un extrait : « Sa Sainteté le Dalaï Lama, le chef suprême du peuple tibétain, a offert les idéaux de la démocratie au peuple tibétain, même s’il n’a pas ressenti le besoin de ces idéaux.

Tous les Tibétains, dans le Tibet et en exil, sont et restent profondément reconnaissants à Sa Sainteté le dalaï-lama, et s’engagent à nouveau à établir notre foi et notre allégeance à la direction de Sa Sainteté le dalaï-lama, et à prier avec ferveur pour qu’il puisse rester avec nous à jamais comme notre chef suprême spirituel et temporel. »

 

Vous avez dit « laïcité » ?

Article 36. Pouvoir législatif. « Tout pouvoir législatif et autorité résident dans l’Assemblée tibétaine. Les décisions de celles-ci requièrent l’approbation de Sa Sainteté le dalaï-lama pour devenir des lois ». L’Assemblée a tous les pouvoirs… si Sa Sainteté le veut !

Article 19. Pouvoir exécutif. « Le pouvoir exécutif de l’administration tibétaine est dévolu à Sa Sainteté le dalaï-lama, et doit être exercé par lui, soit directement ou par l’intermédiaire d’officiers qui lui sont subordonnés, conformément aux dispositions de la présente Charte.

En particulier, Sa Sainteté le dalaï-lama est habilité à exécuter les pouvoirs ci-après en tant que chef de la direction du peuple tibétain : (a) approuver et promulguer les projets de loi et des règlements prescrits par l’Assemblée tibétain. (b) promulguer des lois et ordonnances qui ont force de loi. (c) conférer les honneurs et les brevets de mérite . (d) convoquer, ajourner, reporter et prolonger l’Assemblée tibétaine ? (e) envoyer des messages et adresses à l’Assemblée tibétaine chaque fois que nécessaire. (f) suspendre ou dissoudre l’Assemblée tibétaine. (g) dissoudre le Kashag (gouvernement) ou destituer un Kalon (ministre). (h) décréter l’urgence et convoquer des réunions spéciales de grande importance. (j) autoriser les référendums dans les cas impliquant des grandes questions en suspens conformément à la présente charte. »

Voilà qui est clair : ni chef, ni impliqué dans le gouvernement « démocratique », mais au-dessus des communs des mortels et des Institutions, Dieu vivant et guide suprême.

Dharamsala, exil, lutte pour la liberté de son peuple, prières, modération dans le ton lors de ses prestations médiatiques, vie frugale… pourquoi l’image de l’ayatollah Khomeiny sous sa tente à Neauphle-le Château surgit-elle brusquement de l’oubli ?

Egalement obsolète, ce document ? Toujours est-il que le dalaï-lama refuse de souscrire à la condition incontournable pour être reçu à Beijing : la dissolution de son "gouvernement" dont l’acceptation ferait de sa visite en Chine celle d’un chef d’Etat étranger.

 

La rébellion et la fuite.

La Chine est devenue communiste en 1949. En 1954, le 14ème dalaï lama est élu au poste de vice-président du Comité permanent de l’assemblée populaire nationale. En 1956, il devient président du Comité préparatoire de la Région autonome du Tibet. Conciliant (ou prudent !) le gouvernement de Pékin décide alors de ne pas appliquer de réforme au Tibet pendant six ans.

Mais les maîtres du Tibet, inquiets pour leurs privilèges, ont déjà commencé à fomenter la rébellion qui éclatera en mars 1959. Le dalaï-lama en sera le deus ex machina, tout en proclamant qu’il désavoue ces « malfaiteurs réactionnaires », ces « groupes de réactionnaires » dont la violence le plonge « dans une immense inquiétude ». Il assure encore Pékin qu’il fait « l’impossible » pour régler la situation, puis, qu’il a « éduqué » et « critiqué sévèrement » les insurgés. Vaincus en quelques jours par l’armée chinoise, ceux-ci devront s’exiler. Le pacifiste dalaï-lama est parmi eux, le fusil en bandoulière. Dans le livre « Inspirations et paroles du dalaï-lama », éditions Acropole, mai 2008, le journaliste et écrivain sud-Africain Mike Nicol osera : « Ironiquement, c’est déguisé en soldat, un fusil sur l’épaule, qu’il quitta Lhassa de nuit avec sa suite et prit la direction de la frontière indienne ».

La nuance est subtile entre un soldat et un homme armé en uniforme de soldat. Apprécions aussi qu’il ne fuit pas mais qu’il « prend la direction » de l’étranger, la nuit. En Inde, le dalaï-lama s’empressera de former un « gouvernement tibétain en exil » et de proclamer l’indépendance du Tibet. (...)

Au cours d’un dîner à Lhassa, un officiel a implicitement laissé sourdre une crainte en nous disant : « Vous, en Occident, vous avez un Dieu mort qui ne peut donner des ordres politiques. Le nôtre est vivant ».

Notes :

  1. Pour sourire, voici comment un élu de la république française, Jean-Pierre Plancade, sénateur socialiste, s’adressa en cette occasion au dalaï lama : « J’ai un ami parlementaire qui s’occupe de la Chine et qui me demandait quel intérêt j’ai à soutenir ainsi le Tibet et à parler ainsi de Votre Sainteté. Je lui ai répondu que je le faisais parce que Votre Sainteté est un peu ce sage qui porte une lumière qui éclaire le monde.

  2. Et c’est une lumière très fragile. Après ma visite à Dharamsala, je lui répondrai que c’est aussi un exemple de démocratie et de vie politique parlementaire, qu’il pourrait défendre auprès de ses amis chinois. Je voudrais aussi savoir si vous pensez que les responsables politiques peuvent bénéficier de vos conseils. » La « lumière qui éclaire le monde », dit par un camarade socialiste élu dans la région de Jaurès !

  3. Et la demande de conseils à un dirigeant politique étranger, Sa Sainteté, chef religieux et dieu vivant pour gouverner un pays constitutionnellement laïque…

  4. Serait-ce forcer le trait que de dire que, outre sa misogynie, les récents propos du dalaï lama sur les homosexuels, son rejet des "étrangers" Hans, sa participation à l’insurrection au Tibet et son approbation des guerres d’invasion états-uniennes, peuvent inquiéter ?

  5. Ces positions pourraient le faire passer pour un sexiste, un homophobe, un raciste et un va-t-en guerre américanophile.