Imprimer

La Chine est-elle capitaliste?

par Marc Vindepitte, le 30 janvier 2020

Si l’on veut en croire ce qui s’écrit à droite comme à gauche, pour la Chine, la messe est dite ! Le pays aurait capitulé et serait devenu capitaliste, quoi que le régime chinois lui-même puisse prétendre. C’est précisément cette opinion quasi unanime, que les économistes Rémy Herrera et Zhiming Long combattent avec verve dans leur livre ‘La Chine est-elle capitaliste?’.

"La Chine est-elle capitaliste?", Rémy Herrera & Zhiming Long, Éditions Critiques, 2019, 199 p.

 

Intérêts

Pour l’aile gauche, la question est de la plus grande importance. D’abord parce qu’il y va de presque un quart de la population mondiale et de l’un des derniers et rares pays issus d’une révolution socialiste. La direction que prendra la Chine sera ainsi déterminante pour l’avenir même de la planète.

Et plus encore, l’enjeu est d’importance pour la bataille des idées chez nous. Le développement socioéconomique de la Chine est une success story impressionnante. Au moment-même où le capitalisme donne des signes évidents de déclin, il a tout intérêts à revendiquer la success story chinoise comme « capitaliste ». De cette manière, il reste possible de s’attribuer quelque crédit idéologique et même de décourager un peu les forces adverses. Par les voies de la pensée unique néolibérale, tout est fait pour convaincre les gens du fait que le socialisme n’a pas d’avenir. Une Chine « socialiste », ça jurerait dans le tableau.

Tout est question de point de vue

Bien sur, une série de phénomènes évidents plaident en faveur de la reconnaissance de la Chine comme un exemple de capitalisme : le nombre de plus en plus important de milliardaires, le consumérisme au sein de larges tranches de la population, l’introduction de nombreux mécanismes de marché après 1978, l’implantation de quasi toutes les plus grandes entreprises occidentales qui tentent, au moyen de salaires très bas, de faire du pays une grande plate-forme capitaliste, la présence des plus grandes banques capitalistes sur le sol chinois et l’omniprésence des entreprises privées sur les marchés internationaux.

Mais, ainsi va donc l’argumentation de Herrera et Long, si la France ou au choix un autre pays occidental collectivisait toutes les propriétés des sols et des sous-sols ; nationalisait les infrastructures du pays ; remettait la responsabilité des industries-clés entre les mains du gouvernement ; mettait en œuvre un planning central rigoureux ; si le gouvernement exerçait un contrôle strict sur la monnaie, sur toutes les grandes banques et institutions financières ; si le gouvernement exerçait une surveillance étroite sur le comportement de toutes les entreprises nationales et internationales ; et, au cas où cela ne suffirait pas encore, si, au sommet de la pyramide politique se tenait un parti communiste qui supervise l’ensemble… pourrait-il encore, dans ces circonstances, sans tomber dans le ridicule, être question d’un pays « capitaliste » ? Sans aucun doute non. Nous le qualifierions évidemment de socialiste ou encore communiste. Pourtant, assez curieusement, on se refuse obstinément à qualifier ainsi le système politico-économique en vigueur en Chine.

Pour bien comprendre le système chinois et ne pas s’embourber dans des observations superficielles, il faut, suivant les auteurs, tenir compte d’un certain nombre de facteurs exceptionnels qui caractérisent le pays, à commencer par le nombre énorme d’individus que compte la population, ainsi que par l’étendue et la diversité du territoire.

Il est indispensable également, de garder en perspective les différentes périodes, chacune longues de siècles, au creux desquelles, la nation comme la culture ont pris forme.

Ainsi, pendant deux mille ans, l’état s’est-il approprié la plus value des paysans, comme il a bridé sévèrement toute initiative privée et transformé les grandes unités de production en monopoles d’état. Tout au long de ces siècles, il n’a jamais été question de capitalisme.

Enfin, il convient de tenir compte des humiliations coloniales de la deuxième partie du 19e siècle et d’une première moitié du 20e siècle particulièrement mouvementée, avec trois révolutions et autant de guerres civiles. Ainsi, tout au long d’une guerre civile qui a duré trente ans, le parti communiste a-t’il mené en « territoires libérés », de nombreuses expériences au cours desquelles le secteur privé était à une grande échelle, laissé intact, dans le but de le voir concurrencer les nouvelles formes de production collective.

Au-delà des clichés

Avant même d’analyser les spécificités du système, H&L règlent leur compte à deux clichés tenaces relatifs à la success story de la Chine. Le premier, largement répandu, veut que la croissance économique rapide arrive après et grâce aux réformes de Deng Xiaoping de 1978. Ceci est parfaitement faux. Dans les dix ans avant cette période, l’économie avait connu déjà une croissance de 6,8 %, soit le double de celle des USA durant cette période. Au vu des investissements en moyens de production (capital fixe) et know-how (ressources éducatives), on voit une croissance quasi équivalente pour les mêmes périodes, avec même, pour la première période, une croissance plus importante en Recherche & Développement.

Élément essentiel pour expliquer le succès de la Chine : la politique agricole. La Chine est l’un des rares pays au monde à avoir garanti à ses populations paysannes, un accès aux terres agricoles. Après la révolution, la gestion des terres agricoles dépendait du gouvernement qui attribua à chaque paysan une part de terres agricoles. Cette règle vaut encore aujourd’hui. La question agricole est majeure dans une Chine qui doit nourrir presque 20% de la population mondiale avec seulement 7% des terres agricoles fertiles. Il faut se figurer qu’en Chine on parle de ¼ d’hectare de terre agricole par habitant, en Inde du double et aux USA de 100 fois plus.

Malgré les erreurs du Grand Bon en avant, la Chine devait parvenir assez rapidement à nourrir sa population. D’autant que les plus-values générées par l’agriculture étaient investies dans l’industrie, établissant ainsi les conditions d’un développement industriel rapide. La croissance spectaculaire de 9,9% dans la période qui a suivi les réformes, n’a été possible que grâce aux efforts et aux réalisations des trente premières années qui ont suivi la révolution. Tout bien considéré, le pays avait déjà connu, sous Mao, un développement impressionnant. Sous sa direction, le revenu par habitant triplait tandis que la population elle, doublait. Et les auteurs de souligner soulignent également que l’économie chinoise, dans sa phase initiale, n’était ni une « autarcie », ni ne poursuivait une volonté de repli sur soi mais que le pays subissait un embargo de l’Occident.

Un deuxième cliché très répandu voudrait que cette croissance spectaculaire soit le résultat naturel et logique de l’ouverture de l’économie et de l’intégration dans le marché mondial capitaliste, et plus particulièrement encore, depuis l’entrée dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001. Mais ce point de vue non plus n’est pas tenable. Bien longtemps avant cette entrée, la Chine connaissait déjà une forte croissance économique : entre 1961 et 2001, on parle d’une croissance annuelle de 8%. Certes, cette ouverture a été une réussite, mais l’augmentation de croissance certainement pas spectaculaire. Dans les premiers cinq ans qui ont suivi l’entrée, la croissance économique avaient augmenté d’à peine plus de 2%.

L’ouverture de l’économie aux pays étrangers – commerce, investissements et flux de capitaux financiers – a eu pour de nombreux pays du tiers monde des conséquences désastreuses. En Chine, cette ouverture a été couronnée de succès parce que soumise aux besoins et objectifs du pays et parce qu’elle était totalement intégrée à une solide stratégie de développement. D’après H&L, la cohérence de la stratégie de développement de la Chine n’a pas d’équivalents parmi les autres pays du Sud.

Ni communisme ni capitalisme

Qu’est-ce qui se cache donc derrière le ‘socialisme aux caractéristiques chinoises’? Pour les auteurs, il n’en va certainement pas du communisme dans l’acception classique du mot. Marx et Engels entendaient par communisme, l’abolition du travail salarié, la disparition de l’état et l’autogestion de la production. Ce n’est pas le cas dans la Chine actuelle, comme cela n’a jamais été le cas dans les pays d’un « socialisme réellement existant ». En Chine il en va moins des suites d’un choix idéologique que de celles des circonstances extrêmement difficiles dans lesquelles est née et à du se réaliser la révolution. En 1949, après une guerre civile interminable, s’installe un état qui s’appelle « communiste » et qui chemin faisant, s’est distancié du modèle soviétique.

Après l’ouverture et les réformes sous Deng Xiaoping, « le socialisme a énormément reculé en Chine. Nous sommes loin aujourd’hui de l’idéal égalitariste communiste ». Les auteurs pointent dans ce contexte, dans la direction d’une série de paramètres comme l’individualisme, le consumérisme, l’affairisme, l’arrivisme, les goûts de luxe et du paraître, la corruption,… Ces aspects sont certes préoccupants mais le gouvernement chinois fait bien tout pour rétablir la « morale socialiste ».

Si ce n’est certes pas du communisme, ce n’est pas non plus du capitalisme. Pour Marx, le capitalisme suppose « une séparation très forte entre le travail et la propriété des principaux moyens de production ». Les propriétaires du capital présentent une tendance à former des collectifs (actionnaires) qui ne gèrent plus directement le processus de production, abandonnant celui-ci aux managers. Souvent, le bénéfice prend la forme de dividendes sur des actions.
La majeure partie des innombrables compagnies – en général de petites entreprises familiales artisanales – ne répond pas à ce critère. Le critère ne vaut pas non plus dans le cas des nombreuses entreprises « collectives » au sein desquelles les ouvriers sont propriétaires de l’appareil de production, ont un droit de vôte au niveau de la direction, et encore moins pour les coopératives.

Même au niveau des entreprises d’état, la séparation entre travail et propriété n’est pas aussi nette. Parce que même là, existe une forme de cogestion par les ouvriers et les employés, même si elle est limitée. En bref, la séparation entre travail et propriété est souvent très relative.

Un autre critère encore pour définir le capitalisme est « la maximisation du profit individuel ». Absolument pas d’actualité dans les grandes entreprise d’état où sont concentrés les plus importants moyens de production.

Pas de capitalisme donc mais peut-être alors « capitalisme d’État?[i] ».[ii] D’après H&L, le terme est déjà plus approchant, pourtant encore trop flou, trop vague en même temps qu’il convoie trop de sous-entendus.

Mais alors, de quoi s’agit-il ?

Les dirigeants chinois les plus importants ne nient pas la présence d’éléments capitalistes dans leur économie, mais ils les voient comme l’un des composants de leur système hybride, dont les secteurs-clé sont aux mains du gouvernement. Pour eux, la Chine navigue encore dans “la phase première du socialisme, soit une étape jugée incontournable pour développer les forces productives”. Le but historique est et reste celui d’un socialisme avancé. Comme Marx et Lénine, ils refusent de voir le communisme comme un “partage de la misère”. Et par conséquent affirment « leur volonté de poursuivre une transition socialiste au cours de laquelle une très large majorité de la population pourra accéder à la prospérité. Ne prouverait-on pas du même coup que le socialisme peut, et doit, surpasser le capitalisme? », voilà ce que se demandent les auteurs.

Ils décrivent le système politico-économique de la Chine comme “socialisme du marché ou avec marché”. Un tel système repose sur dix piliers, qui sont largement étrangers au capitalisme:

  1. La pérennité d’une planification puissante et modernisée; qui n’est plus le système rigide et hyper-centralisé des premiers temps.
  2. Une forme de démocratie politique, nettement perfectible, mais rendant possibles les choix collectifs que se trouvent être à la base de cette planification.
  3. L’existence de services publics très étendus qui demeurent pour la plupart en dehors du marché.
  4. Une propriété de la terre et des ressources naturelles qui restent du domaine public.
  5. Des formes diversifiées de propriété, adéquates à la socialisation des forces productives : entreprises publiques, petite propriété privée individuelle ou propriété socialisée. La propriété capitaliste est pendant une transition socialiste longue maintenue, voire encouragée, afin de dynamiser l’activité économique d’ensemble et d’inciter à l’efficacité les autres formes de propriétés.
  6. Une politique général consistant à accroître relativement plus rapidement les rémunérations du travail par rapport aux autres sources de revenus.
  7. La volonté affichée de justice sociale promue par les pouvoirs publics, selon une perspective égalitariste face à une tendance de plusieurs décennies à l’aggravation des inégalités sociales.
  8. Une priorité accordée à la préservation de l’environnement.
  9. Une conception des relations économiques entre les États se fondant sur un principe gagnant-gagnant.
  10. Des relations politiques entre États se reposant sur la recherche systématique de la paix et de rapports plus équilibrés entre les peuples.

Certains de ces piliers sont abordés plus en détail. Nous en distinguerons deux ici : le rôle-clé des entreprises d’état et du planning modernisé. Le livre traitera également d’une question importante : la relation entre le pouvoir politique et le pouvoir économique.

Les entreprises d’état jouent un rôle stratégique dans l’ensemble de l’économie. Elles opèrent sur un mode qui ne se joue pas au détriment des nombreuses petites entreprises privées et du tissu industriel national. Leurs objectifs s’orientent vers les investissements productifs et elles peuvent aisément fournir du service bon marché à d’autres entreprises comme à des projets collectifs. L’état peut, au sein de ces entreprises, déterminer lui-même quel management serait le plus adéquat. Le rôle que jouent les entreprises d’état est, quoi qu’il en soit, l’une des explications essentielles quant aux bonnes prestations de l’économie chinoise. Et sur le plan social, elles jouent leur rôle également. Les entreprises d’état sont en état de mieux rémunérer leurs employés et de leur offrir une meilleure couverture sociale. C’est dans ce secteur qu’existent les meilleures possibilités de combler le fossé qui existe entre riches et pauvres.

Le projet d’une économie est : “l’espace authentique où une nation se choisit un destin commun et le moyen pour un peuple souverain d’en devenir le maître”. D’après H&L, il s’agit pour la Chine de : “puissante” planification, dont les techniques ont été assouplies, modernisées et adaptées aux exigences du temps présent. Dans l‘ancienne « planification excessivement centralisée » une entreprise devait accepter les produits, en dépit du coût réel auquel ils avaient été préalablement fabriqués.

Ce mécanisme limitait énormément les possibilités d’initiative des entreprises comme d’ailleurs l’efficacité même du secteur de production dans son ensemble. La qualité et le coût étaient considérés comme des problèmes « administratifs » ou « technocratiques » et perdaient leur possibilité de stimuler l’économie. Les contraintes et les limitations de la production se sont manifestées par une récurrence des crises de disponibilité des ressources matérielles.
Dès la fin des années 90 intervient donc : une planification plus souple, monétarisée et décentralisée. Ce nouveau planning était toujours établi sous la direction d’une autorité centrale macro-économique. Les entreprises reçurent plus d’autonomie pour gérer des devises étrangères et acheter des marchandises. Cet assouplissement a comblé un certain nombre de lacunes de l’ancien planning et a conduit à un développement économique plus intensif[iii] et plus respectueux de l’environnement.

Est-il nécessaire, pour une transition vers le socialisme, que les pouvoirs économiques et politiques coïncident parfaitement ? Les auteurs pensent que non. Par contre, il est nécessaire que les possesseurs du pouvoir économique –les capitalistes– soient sous la tutelle étroite du pouvoir politique. Les auteurs renvoient en cette matière, à une discussion qui a eu lieu entre Mao Zedong et le gouvernement soviétique de l’époque, en 1958. D’après Mao Zedong, la révolution chinoise pouvait sans problème continuer à cheminer, bien que la Chine comptât encore des capitalistes. Son argument était que la classe capitaliste ne contrôlait plus l’état mais que le contrôle était opéré alors par le parti communiste.[iv] Actuellement, les propriétaires du capital national privé, d’après HL, sont efficacement limités dans leurs ambitions par la forte proportion de la propriété publique dans les secteurs stratégiques. De plus, le parti communiste est toujours en position d’empêcher que la bourgeoisie ne devienne, à nouveau, une classe dominante.

L’avenir

Pour ce qui concerne les auteurs, leur avis à propos de la trajectoire possible de la Chine reste en suspens. Une progression dans la direction du socialisme fait partie des possibles tandis que pourtant, une restauration du capitalisme ne soit pas à exclure. L’issue sera déterminée essentiellement par la lutte des classes. Les équilibres de classe, dans la Chine d’aujourd’hui, sont complexes. D’un côté le parti communiste qui s’appuie surtout sur les classes moyennes et les entrepreneurs privés. Chacun de ces groupes ayant eu, durant les dernières décennies, plutôt intérêt à voir favoriser une économie à forte croissance. De l’autre côté : les masses ouvrières et paysannes “qui continuent de croire en la possibilité de se constituer en sujets de leur histoire et qui projettent toujours leurs espérances dans un avenir socialiste”.

Toute la question est maintenant de savoir si le parti réussira à pérenniser sa succes story sans déséquilibrer le rapport de force au profit des ouvriers et des paysans. Si le parti prend la route du capitalisme, il risque de bouleverser ce fragile équilibre. Ceci pourrait mener à de grandes confrontations politiques et aller jusqu’à une perte de contrôle des oppositions sur lesquelles repose le système, entrainant un fiasco pour ce qui concerne les stratégies de développement sur le long terme.

L’issue est incertaine. Mais pour H&L de nombreux aspects sont observables qui marquent nettement la différence d’avec le capitalisme.

Au-delà de ceci existent également les objectifs à long terme du socialisme et, le potentiel est présent qui permettrait de réactiver le projet.

Un autre facteur d’incertitude qui être déterminant pour l’avenir, c’est le capitalisme des monopoles financiers, soutenus par l’hégémonie militaire des USA qui cherche de plus en plus la confrontation avec la Chine, malgré le tissus économique au maillage serré qui existe entre les deux pays. H&L préviennent qu’en Occident, nous avons à bien prendre conscience du fait que le capitalisme mondial est dans une impasse et “que l’agonie de ce système n’apportera aux peuples du monde que dévastations sociales au Nord et guerres militaires contre le Sud”.

Il convient d’ajouter que nous n’avons plus qu’à espérer que la logique capitaliste puisse être maintenue sous contrôle en Chine. Dans le cas contraire, nous nous retrouverions dans une situation comparable à celle qui caractérisait la veille de la première guerre mondiale, où les blocs impérialistes se sont dirigés vers un bras de fer qui avait pour but d’élargir leur zone d’influence ou de les conserver.

Les auteurs n’esquissent pas une histoire triomphante. Le ‘socialisme aux caractéristiques chinoises’ ne constitue en aucun cas un “idéal achevé du projet communiste. Ses déséquilibres sont tellement criants”. Ils font remarquer, à cet égard, que la Chine est encore, toujours un pays en voie de développement et que pour cette raison justement : “ce processus sera long, difficile, débordant de contradictions et de risques”. Ceci ne devrait pas nous étonner puisque : “le capitalisme n’a-t-il pas pris des siècles pour s’imposer?” Les nombreux déséquilibres et contradictions devraient freiner les sympathisants, en tous cas les empêcher de céder à la tentation d’exporter la recette chinoise trop rapidement.

Quelques notes dans la marge…

Herrera et Long sont des universitaires mais savent toutefois comment exposer leur argumentation sur un mode léger, lisible et convaincant. Le livre contient de l’information solide, chiffrée et de nombreux graphiques utiles. En annexe l’on trouve une ligne du temps bien intéressante, qui retrace l’histoire de la Chine depuis les débuts de l’humanité. Une faiblesse de l’ouvrage est que toute l’argumentation n’est pas aussi fouillée, le livre est d’ailleurs trop concis pour cela.

L’angle choisi est économique avec pour avantage d’être matérialiste plutôt que « flottant » et, pour désavantage, de sous-estimer parfois le rôle de la lutte idéologique. H&L pointent bien quelques aspects négatifs à ce propos, mais ils sous-estiment le fait que toute la société est littéralement imprégnée de la propagande capitaliste, jusqu’au sein même du parti communiste. À ce propos, les événements de Tiananmen sont éclairants, il s’en est, en effet, fallu d’un cheveu ou la Chine prenait le même chemin que l’Union Soviétique. Repousser l’idéologie capitaliste sera une affaire cruciale si l’on veut maintenir le cap dans la direction du socialisme.

Dans leur argumentation à propos de la question de savoir si le système est ou n’est pas capitaliste, ils se concentrent sur la question des rapports de propriété. Oui, c’est juste, mais seulement partiellement parce que les rapports de propriété ne disent pas tout à propos du contrôle que le gouvernement exerce sur l’économie. En accordant ou non l’accès aux contrats d’adjudications, aux avantages fiscaux, l’accès aux fonds d’investissements gouvernementaux, aux institutions financières et aux subsides, etc., le gouvernement central pilote en fait de larges secteurs, en ce inclus des entreprises privées, sans pour autant avoir un contrôle direct sur ces entreprises comme telles ni en posséder des actions.[v]

Pour de multiples raisons, la Chine est l’un des pays les moins bien compris au monde. Le livre de H&L est donc plus que bienvenu. Il va courageusement à contre courant des idées reçues et pointe quelques clichés tenaces. À la lumière de la relative descente aux enfers du capitalisme, tant économiquement que politiquement, les auteurs mettent sous tension la discussion idéologique. C’est la deuxième raison pour laquelle ce livre est vraiment à conseiller.

Rémy Herrera & Zhiming Long, La Chine est-elle capitaliste ? Paris: Éditions Critiques, 2019, 199 p.

SOURCE: Investig’Action

NOTES:

[ii] Le terme « capitalisme d’état » est loin de renvoyer à l’univocité d’un concept à propos duquel existerait un consensus. Ci-dessous, quelques systèmes qui pourraient correspondre à ce terme :

Sources : Ralph Miliband, Politieke theorie van het marxisme, Amsterdam, 1981, p. 91-100;

 http://en.wikipedia.org/wiki/State_capitalism.

[iii] Un développement extensif équivaut à une croissance quantitative, plus de la même chose par l’investissement de plus d’hommes et de machines ou en les faisant travailler de manière plus intensive. Développement intensif = croissance quantitative basée sur une plus grande productivité.

[iv] “There are still capitalists in China, but the state is under the leadership of the Communist Party.” Mao Zedong, On Diplomacy, Beijing 1998, p. 251.

[v] Voir par exemple Roselyn Hsueh, China’s Regulatory State. A New Strategy for Globalization, Ithaca 2011; Zhao Zhikui, ‘Introduction to Socialism with Chinese Characteristics’, Bejing 2016, Chap. 3; Arthur Kroeber, ‘China’s Economy. What Everyone Needs to Know’, Oxford 2016, hoofdstuk 5; Robin Porter, ‘From Mao to Market. China Reconfigured’, Londen 2011, p. 177-184; Barry Naughton, ‘Is China Socialist?’, The Journal of Economic Perspectives, Vol. 31, No. 1 (Winter 2017), pp. 3-24, https://www.jstor.org/stable/44133948?seq=5#metadata_info_tab_contents.

Article original plublié sur : https://www.investigaction.net/fr/la-chine-et-la-destinee-du-monde/

Avec l'accord de Michel Collon et Marc Vindepitte