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Premiers Jésuites au Tibet

par Jean-Paul Desimpelaere, le 28 septembre 2010

Au 17ème siècle, à peu près lors de la passation de pouvoir entre les dynasties Ming et Qing, le Tibet eut à faire aux premiers missionnaires chrétiens. Jusqu’à cette époque, l’Europe avait à peine connaissance du Haut plateau. En 880, le commerçant et voyageur arabe, Suleiman, pouvait situer le Tibet, et Marco Polo l'a mentionné dans ses écrits à la fin du 13ème siècle. Mais ce n’est que quelques siècles plus tard que les premiers explorateurs occidentaux purent jouir des beautés du Haut plateau. A l’avant-garde européenne, il y avait des missionnaires.

 

En 1581, le Jésuite Acquaviva, qui vivait en Inde, écrivait : « Nous avons découvert une nouvelle nation qui s’appelle Bottan (ou le « pays des Bod », il parlait du Tibet), elle se trouve au Nord de Lahore, au pays des sources de l’Indus. Les gens y sont pieux et on n’y trouve pas de musulmans. Nous devrions donc y envoyer quelques confrères pour convertir ces populations.” Mais ce fut plus facile à dire qu’à faire. Avec l’appui du pape et du roi d’Espagne, Philippe II, le Jésuite Bento de Goes partit pour une première expédition vers le pays des Bod. Il n’arriva pas plus loin que l’actuelle province du Xinjang. Il dessina toutefois les contours septentrionaux du plateau.

En 1624, Antonio de Andrade et Manuel Marques furent les premiers Européens à pénétrer par le Sud dans la région tibétaine, par le mont Kailash. À Barang, la première petite ville rencontrée, ils fondèrent une mission. Aujourd’hui, Barang est le lieu d’où démarrent les trekking touristiques et les pèlerinage autour de la montagne sacrée du Kailash. Avec l’aide du roi de Guge, un royaume situé dans l’ouest du Tibet, ils y construisirent une église. Dans les années 1980, une équipe d’archéologues tibétains trouva un masque rituel tibétain dans la région. En l’analysant, il apparut qu’il était fait de papier mâché imprégné d'argile séché. Le papier était encore presque intact et il s’avéra qu'il s'agissait d'un agglomérat de pages d'une bible écrite en portugais. C’est la seule preuve restante du séjour d’Antonio de Andrade dans la région.

À la même époque, les prêtres Cacella et Cabral, des Jésuites également, traversèrent la frontière entre le Bhutan et le Tibet, et s’installèrent à Xigaze. Le fils du comte bruxellois d'Orville et Grüber furent les premiers missionnaires jésuites à arriver à Lhassa, c'était en 1661. Ils pénétrèrent au Tibet par le Nord après avoir traverser le Qinghai ayant reçu un laisser-passer de l’Empereur des Qing. D'eux, on garde la description du moulin à prières, un croquis du Potala, alors entouré d’échafaudages, et des notes quant au caractère insolite et débauché du 6ème dalaï-lama. Le fils d’Orville ne tint pas le coup plus d’un mois et dut rentrer en Inde pour cause de maladie. Il mourut peu après, épuisé. Le croquis du Potala serait la seule image de Lhassa que l’Europe aurait en sa possession jusqu’en 1901.

En 1716, deux autres jésuites, Hippolito Desideri et Emmanuel Freyre, voulurent aller vérifier si Barang comptait encore quelques chrétiens. Ils eurent l'occasion de sympathiser brièvement avec le seigneur mongol, Lajang Khan, qui contrôlait la région. Mais ils durent rapidement faire demi-tour car les Dzoungares envahirent et conquirent le Tibet.

En 1846, deux lazaristes français, l’abbé Huc et l’abbé Gabet, vinrent à Lhassa. Ils ne restèrent pas plus de trois mois, et furent la dernière mission chrétienne dans la capitale.

Les provinces du Yunnan et du Sichuan eurent plus souvent et plus longuement la visite des missionnaires occidentaux. On y trouve aujourd’hui encore des enclaves chrétiennes. Cizhong est un village sur le cours supérieur du Mékong, dans la province du Yunnan, proche de la frontière avec le Tibet. Une église catholique y côtoie un empilement de pierres mani (une tradition de la religion bön, reprise par le bouddhisme). La majorité des cent familles que le village compte se dit catholique. L’église date de 1905. Un missionnaire français est enterré dans le jardin. Son nom chinois est Wu Xudong. L’intérieur de l’église est encore parfaitement conservé, en dépit de toutes les révolutions. Actuellement, le village est habité d'un mélange de Tibétains, Nu, Lisu et Naxi : encore une de ces petites villes à population mixte que le 14è dalaï-lama voudrait incluse dans son « Grand Tibet ». Les vignobles sont une des particularités de Cizhong. En effet, le missionnaire français a appris à “son peuple élu” les secrets de fabrication du vin ; c'était utile pour la messe, mais aussi pour l’usage quotidien. Les habitants de Cizhong ont perpétué cette tradition importée et si vous êtes invités là-bas, on vous sert un godet de vin rouge en guise de bienvenue !

À l’intérieur du Tibet, la seule église chrétienne se trouve dans le village de Yanjing, sur la rive du Mékong, non loin de la province du Yunnan. À la fin du 19ème siècle, trois missionnaires français rachetèrent le village au monastère lamaïste local. Leur successeur, Maurice Tornay, trépassa lorsqu’en 1940 les moines du monastère bouddhiste voisin s’emparèrent de sa résidence, de l’église et du village. L’église tomba fut abandonnée jusqu'à la Révolution Culturelle. Elle trouva une nouvelle fonction : la nef fut équipée d’un double plafond et l'église devint une école primaire et secondaire. Vers 1990, la petite église a été restaurée dans sa forme d’origine. Un prêtre tibétain, qui se fait appeler “père Laurent”, a pris le relais, il est assisté par deux sœurs catholiques tibétaines. Il n’y eut plus d’escarmouches avec le monastère lamaïste voisin, bouddhistes et chrétiens assistent aux grandes célébrations des uns et des autres.

 

l'église catholique de Yanjing au Tibet
l'église catholique de Yanjing au Tibet