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Exploitations minières au Tibet, les « trésors de l'Ouest »

par Elisabeth Martens, le 20 mai 2020

"XiZang", le nom chinois du Tibet, signifie le "Trésor de l'Ouest". Les Chinois ont-ils été impressionnés par la quantité d'or et de pierres précieuses qui garnissent les statues, les stupas funéraires, les monuments sacrés du Tibet ? De longue date, les Tibétains exploitent les gisements d'or, d'argent, de turquoise, de corail, de diamant, etc., ceci de manière artisanale. Outre un usage cultuel, ils en fabriquent de magnifiques et lourds bijoux qu'ils enfilent pour les cérémonies religieuses et les fêtes locales.

 

 

Au festival de Yushu en 2007 (photo JPDes)
Au festival de Yushu en 2007 (photo JPDes)

Cependant, ces trente dernières années, les mines d'or du Tibet, souvent de minces filons, étaient surtout convoités par des Chinois du Sichuan voisin. Comme lors de la ruée vers l'or dans le Far West américain, ils montaient des vallées profondes des contreforts de l'Himalaya, alléchés par un butin facile. Leurs méthodes d’extraction se sont révélées ravageuses pour l’environnement, en particulier, pour les rivières. Le gouvernement chinois a décidé d'y mettre fin et de nombreuses petites mines artisanales ont été fermées au début du 21ème siècle.

Ce n'est que durant la seconde moitié du 20ème siècle que la Chine a commencé à explorer plus systématiquement son sous-sol. Entre 1999 et 2006, une étude géologique menée par une équipe d'un millier d’experts a mis aujour plus de 90 sortes de minerais sur le Haut Plateau tibétain. Onze d'entre eux occupent maintenant les cinq premières places dans le pays, dont le chrome, le cuivre, le bore, la magnésite, la sidérite, le spath, l'arsenic. L'étude estime la teneur en cuivre de 30 à 40 millions de tonnes, celles de plomb et de zinc à 40 millions de tonnes respectivement,1 tandis que 2000 tonnes d’or restent à extraire du plateau tibétain.2 D’autres gisements importants sont ceux de sel, soude naturelle, soufre, phosphore, potassium, terre de silicium, corindon, cristal, agate, mica blanc, tourbe, gypse, terre à porcelaine, etc.3 La contenance du sous-sol tibétain en fer est estimée à quelques centaines de millions de tonnes4, mais il existe de nombreux minerais de fer ailleurs en Chine, plus faciles à exploiter que sur le Haut Plateau.

Bien que de nombreux gisements aient été découverts au Tibet et qu'ils présentent une grande variété, les cartes ci-dessous (trouvées sur « Baidu », le Google chinois) mettent en évidence que les ressources minières du Tibet sont relativement faibles comparativement au reste du pays. Les mines sont pourtant importantes pour le Tibet, elles représentent 27% de la production industrielle tibétaine et elles sont redevables d’impôts locaux (20% du bénéfice). Jusqu'à l'heure actuelle, peu de mines sont opérationnelles au Tibet, même avec la décision gouvernementale de 2003 d'ouvrir le secteur minier chinois aux sociétés étrangères. La condition pour s'implanter est la même que partout ailleurs en Chine: créer une joint-venture avec un partenaire chinois. C'est ce qu'a fait une société britannique, la « Central China Goldfields » (CCG) qui s'est associée avec le « Bureau of Metallurgy and Geological Exploration du Sichuan » pour exploiter une mine d'or en Mongolie intérieure et ouvrir une exploitation de cuivre au Tibet, à l'Est de Lhassa.5

 

 

 

 

 

 

À propos de l'uranium, en 2008, un journaliste scientifique peu soucieux de vérifier ses sources, rapporte que « le Tibet abriterait la plus grosse réserve mondiale d’uranium (Le Monde daté du 27 mars 2008, p. 22). » Il ajoute que « peu de choses transpirent sur l’exploitation de ces mines, qui seraient au nombre de neuf sur le plateau tibétain. »6 C'est le genre de dénonciation qui est rapidement transmise par les groupes « Free Tibet » et autres dalaïstes.7 À présent, « il se dit que les environs de Lhassa contiendraient à eux seuls la moitié des réserves mondiales d’uranium »8 : pure infox !

Les seules exploitations d'uranium en activité actuellement en Chine se situent l'une dans l'extrême ouest de la Chine, dans la province du XingJiang, et l'autre dans le sud-est de la Chine, dans la province du Jiangxi (voir carte9). Le sous-sol tibétain ne contient pas d'uranium... à moins que le Tibet ne s'étende loin au-delà de la RAT (Région Autonome du Tibet) ? Ce dont parlaient ces dalaïstes10 était une exploitation d'uranium qui a été ouverte en 1980 située dans la province du Gansu, à plus de deux milles kilomètres au nord de Lhassa. Elle a été fermée en 2002. L’uranium du Gansu aurait servi à un centre de recherche d'armes nucléaires situé au Qinghai, une province qui s'étend entre la RAT et le Gansu. Ce centre a lui aussi été fermé, en 1987. Les dalaïstes se sont alors tournés vers un dépôt de déchets radioactifs qui auraient été massivement déversés au Tibet.11 En effet, en 1993, la Chine a entrepris la construction d'un centre de traitement des déchets nucléaires, au Gansu, pas au Tibet. Actuellement, le Gansu est une province cible pour le nucléaire chinois en raison de ses nombreuses zones désertiques et de sa faible densité de population.

 

 

carte des centrales nucléaires chinoises en exploitation, en construction ainsi que les projets de centrales dont les démarches sont à un stade avancé, en août 2015 (ambassade de France à Pékin)
carte des centrales nucléaires chinoises en exploitation, en construction ainsi que les projets de centrales dont les démarches sont à un stade avancé, en août 2015 (ambassade de France à Pékin)

 

Quant aux réserves de lithium, une estimation dans le sous-sol tibétain avancée par l'United States Geological Survey (USGS)12 indique qu'elles sont au top-10 des réserves mondiales qui, en février 2020, étaient évaluées à 17 Mt (millions de tonnes). L'USGS note que les ressources ultimes en lithium s'élèvent à 80 Mt, dont 26 % en Bolivie, 21 % en Argentine, 11 % au Chili, 8 % en Australie et 6 % en Chine.13 Les lacs asséchés du Tibet sont des bases potentielles pour l'exploitation du lithium en Chine, bien que celle-ci n'ait pas encore pris son essor. Sur le Haut Plateau, les problèmes techniques liés à l'exploitation minière et aux forages profonds sont nombreux, entre autres à cause du permafrost.

De plus, dans une économie hybride comme celle de la Chine, semi-socialiste semi-capitaliste, et une politique chinoise encore communiste pour les 80 millions de membres du Parti, toute extraction minière où qu'elle se situe dans le pays doit être soigneusement planifiée et couplée à une minutieuse étude quant à son impact écologique. Au Tibet, le moindre faux pas de la Chine est immédiatement relayé par les sirènes dalaïstes ; cela fait plus de 60 ans que le Tibet sert de joker aux États-Unis dès que des tensions s'élèvent entre les deux grandes puissances mondiales.

Le lithium est le minerai qui présente la plus grande densité énergétique (énergie/volume), ce qui en fait un allié essentiel de l'industrie 4.0 et une tête d'affiche de la quatrième révolution industrielle. En 2019, 65 % du lithium à l'échelle mondiale ont été utilisés dans les piles et les accumulateurs (batteries) nécessaires aux ordinateurs hyperperformants de l'IA, une IA que se disputent les deux géants de l'économie mondiale, Chine et États-Unis.

carte des ressources en lithium en Chine (source : Baidu)
carte des ressources en lithium en Chine (source : Baidu)

Dans la bataille serrée qui oppose les leaders américains et chinois du numérique, les GAFAM contre les BATX, la « question tibétaine » pourra bientôt reconfirmer sa position sur l’échiquier géopolitique mondial, cette fois autour de l'exploitation du lithium. En attendant, les États-Unis s'emploient à diaboliser la Chine, l'accusant de totalitarisme et d'atteinte aux « Droits de l'Homme », et entraînent les pays européens dans leur sinophobie.

Quand les groupes « Free Tibet » et autres groupes dalaïstes dénoncent la « destruction systématique de l’environnement lié à l'exploitation minière »14 et prétendent que « le langage de l’exploitation est chinois, les compagnies sont chinoises, la main-d’œuvre qualifiée est chinoise » et que « les Tibétains n'y jouent aucun rôle », etc.15, cela fait partie de la symphonie sinophobe. Et quand ils accusent les Chinois de « piller les mines du Tibet », ils ne parlent pas de la RAT, mais d'une région qui couvre 2 fois la RAT, soit 5 fois la France. Le dalaï-lama l'a baptisée le « Grand Tibet » ou le « Tibet historique ». Outre la RAT, elle comprend des zones non négligeables des provinces voisines : Qinqhai, Gansu, Sichuan et Yunnan. Six millions de Tibétains vivent dans cette vaste région qu'ils partagent avec de nombreuses autres populations : 4 millions de Han, 2 millions de Hui, 2 millions de Yi et 2 millions d’autres ethnies, soit un total de 10 millions de non-Tibétains pour 6 millions de Tibétains.16 Le « Grand Tibet » du dalaï-lama est largement non-tibétain, il est une vaste mosaïque d'ethnies, de langues et de cultures différentes qui, ensemble, enrichissent la région.

Riche, cette région l'est aussi par sa faune, sa flore, ses paysages, son énergie hydraulique, éolienne, solaire, etc. Si on ajoute à cela les plus de 90 minerais que contient son sous-sol, on comprend mieux l'entêtement du dalaï-lama à revendiquer « son Grand Tibet » : tant pour ses richesses que pour sa position géostratégique, il serait bien plus qu'un simple "bon en avant" pour l'économie trumpiste, sans parler de l'impact médiatique assuré pour le bouddhisme qui ne peut que réjouir son leader religieux.

 

 

 

 

1https://www.courrierinternational.com/article/2008/07/29/un-nouvel-eldorado-pour-les-societes-minieres-occidentales

2https://www.lalibre.be/planete/l-exploitation-miniere-intensive-du-toit-du-monde-profite-aux-chinois-pas-aux-tibetains-527dbd3a3570ea593db72c55

3 http://french.china.org.cn/fa-xizang/tibet3/gk2.htm

4CTIC 13/02/2007

5https://www.courrierinternational.com/article/2008/07/29/un-nouvel-eldorado-pour-les-societes-minieres-occidentales

6http://henno.com/2008/04/04/luranium-du-tibet-un-enjeu-pour-pekin

7https://freetibet.org/news-media/na/china-mine-revered-tibetan-site-uranium

8 https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2009-1-page-203.htm

9https://cn.ambafrance.org/Carte-des-installations-nucleaires

10"dalaïste" n'a rien de péjoratif, il est juste pratique, car il recouvre la quantité non définie de groupes qui défendent l'indépendance du Tibet suite au dalaï-lama (dont "l'autonomie poussée" est équivalente à l'indépendance, au final)

11 http://www.michelbouffioux.be/article-a-propos-du-tibet-la-belgique-oublie-les-droits-de-l-homme-17-02-2005-122059028.htm

12 United States Geological Survey

13https://fr.wikipedia.org/wiki/Lithium#Gisements

14https://www.lalibre.be/planete/l-exploitation-miniere-intensive-du-toit-du-monde-profite-aux-chinois-pas-aux-tibetains-527dbd3a3570ea593db72c55

15https://www.lalibre.be/planete/l-exploitation-miniere-intensive-du-toit-du-monde-profite-aux-chinois-pas-aux-tibetains-527dbd3a3570ea593db72c55

16http://tibetdoc.org/index.php/societe/population/212-le-grand-tibet-du-dalai-lama-une-mosaique-d-ethnies-de-langues-et-de-cultures-partie-1