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Le Tibet : un trésor de minérais

par Jean-Paul Desimpelaere, le 25 avril 2011

Les comités de soutien au Tibet accusent la Chine de dérober au Tibet ses précieux minerais. Le terme « dérober » est discutable, puisqu'il implique que le Tibet ne fait pas partie de la Chine. Comment, en effet, pourrait-on « dérober » quelque chose dans son propre pays ? Le charbon du Limbourg a-t-il été dérobé en faveur de l’acier wallon ? De plus, les comités de soutien au Tibet se réfèrent toujours au « Grand Tibet », l’étendue maximale d’un royaume qui a disparu depuis plus d'un millénaire. Ce « Grand Tibet » englobe tout le Haut plateau asiatique, soit cinq fois la France, le double de l’actuel Tibet. Je parlerai ici des mines de la R.A.T. (province tibétaine).

 

L’étendue, le climat, les difficultés du terrain et le retard technologique d'une Chine longtemps restée sous-développée ont freiné, jusqu’à présent, toute extraction minière sérieuse. Un millier d’experts a été mobilisé pendant sept ans pour étudier le sous-sol du Haut plateau dont seulement la moitié a pu être analysée, au niveau géologique, jusqu'à présent. Cette étude indique déjà qu'il existe d’importantes veines de minerais réparties sur le Haut plateau, principalement du cuivre, du plomb, du zinc, et des grands filons de minerai de fer dont la contenance est estimée à quelques centaines de millions de tonnes (1), mais il existe des filons, ailleurs en Chine, plus faciles à exploiter que sur le Haut plateau.

Le gouvernement chinois entend planifier prudemment l'extraction en la couplant à une étude de l’impact écologique. Ces dernières années, de nombreuses mines artisanales ont été fermées parce qu’elles ne respectaient pas les normes environnementales.

Les mines du Tibet sont certes stratégiquement importantes pour la Chine, mais elles le sont aussi pour la R.A.T. Elles vont d'ailleurs gagner en importance dans un futur proche. Actuellement, elles représentent 27% de la production industrielle tibétaine. Le peu de mines en activité rapportent, annuellement, dans les caisses régionales de l’état à peu près 15 millions d’euros en impôts (elles sont, en effet, redevables d’impôts locaux), soit 6% des revenus locaux (2). En R.A.T., quelques 7000 personnes sont employées dans l’industrie minière, ouvriers, employés et cadres compris (3). Ces chiffres témoignent de la petite échelle de l’industrie minière dans cette vaste région autonome du Tibet. Pour le moment, il y a principalement deux mines d’une certaine importance au Tibet, le chrome et le cuivre.

La plus ancienne est la mine de chrome de Luobusa dans le département de Shannan, au sud-est de Lhassa, qui a démarré dans les années 1980. La mine appartient au « Tibet Mining Development », une entreprise d’état régionale, ce qui fait qu’il n’y a pas que l’impôt sur le bénéfice qui va dans la caisse régionale, mais le bénéfice de l'entreprise également. Deux tiers du chrome extrait en Chine provient de cette mine. Mais cela ne répond qu’à 2% du besoin actuel de la Chine. Le reste est importé d’Afrique du Sud, du Kazakhstan et de l’Inde (4).

La deuxième plus importante est la mine de cuivre de Yulong, dans l’Est du Tibet, près de la ville de Qamdo. Elle a démarrée très récemment, en 2008, avec une petite production de 2000 tonnes (5). Cette mine va cependant devenir la deuxième plus grande d’Asie (6). Cette année, en 2011, la production annuelle va atteindre 30.000 tonnes (7). La réserve totale de cuivre de la mine est estimée à 16 millions de tonnes, ce qui est fort peu comparé à ce que la Chine importe annuellement comme cuivre : 4 millions de tonnes (8).

La mine de Yulong est le résultat de l’investissement de trois entreprises minières de l’état chinois : « Qinghai West Mining » avec 58% des parts, « Zijin Mining  Group » avec 22% des parts et « Tibet Mining Development » avec 20% des parts. L'investissement total est de 500 millions d’euros. Il y a encore un certain nombre de plus petits projets en attente pour l’extraction du cuivre, mais rien n’a encore démarré. Un de ces projets se trouve à proximité de Lhassa, à 70 km, dans le canton de Medrogungkar.

Construction d'une statue de Bouddha en cuivre au monastère de Litang-Sichuan(photo JPDes., 2007)
Construction d'une statue de Bouddha en cuivre au monastère de Litang-Sichuan(photo JPDes., 2007)

Les autres minéraux trouvés dans le sous-sol tibétain sont : l'uranium, l'or, le lithium, le magnésium, le plomb et le zinc. Commençons par l’uranium. En 2007, la Chine a passé un accord commercial pour l’importation d’uranium avec l’Australie qui détient 40% des ressources mondiales d’uranium connues(9).

Jusqu’à ce jour, la Chine achète aussi son uranium – 1500 tonnes par an – au Kazakhstan et au Canada. Par ailleurs, la société chinoise pour l’énergie atomique négocie en Afrique pour une participation des Chinois dans les mines africaines. Au Tibet même, il n’y a aucune mine d’uranium, aucun gisement n’a été découvert. Le seul uranium présent au Tibet se trouve dans les lacs salés, comme composé des sels, en faibles concentrations de quelques grammes par litre.

Selon l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique, il se pourrait qu’il soit bientôt extrait du lac Zhabuye, en combinaison avec du lithium (voir plus loin), mais ce n’est pas certain car la technologie n’est pas encore appropriée (10).

Pourtant l’administration du dalaï-lama parle de « veines d’uranium riches et inexploitées, probablement les plus grandes au monde » (11), mais qui se trouvent dans la province du Qinghai qui, selon l’administration du dalaï-lama, fait partie du Tibet.

Le 14ème dalaï-lama suggère indirectement que l'uranium de son « Grand Tibet » est extrait sans limites. « Mon pays subit une catastrophe écologique à cause de la déforestation massive et de la recherche excessive de minerais. », dit-il (12). Le dalaï-lama ne spécifie pas de quels minerais il s’agit, mais le « Tibet Environmental Watch » (des États-Unis), le « Canada Tibet Committee », la section belge des « Amis du Tibet » et d’autres organisations de soutien à l'indépendance du Ttibet parlent d’« extraction débridée d’uranium dans au moins vingt mines (…), la principale source de l’industrie nucléaire chinoise. »

Certains journalistes belges, pourtant de réputation sérieuse, rengaine : « Les montagnes qui entourent la ville sacrée de Lhassa contiendraient la moitié des réserves mondiales d’uranium. Celles-ci, comme d’autres minerais, sont abondamment exploitées. » (13)

D'après le monde médiatique occidental, l’uranium tibétain servirait à la Chine pour « fabriquer des bombes » et, en même temps, des déchets radioactifs seraient massivement déversés au Tibet. En réalité, la Chine s’en tient à un dépôt de déchets nucléaires souterrain qui n’est plus utilisé, près du lac Qinghai. C’est d’ailleurs le seul endroit que le gouvernement en exil du 14ème dalaï-lama nomme concrètement. Cette histoire de l’uranium tibétain date de 1950.

Elle figurait dans un rapport du Foreign Office britannique qui a été diffusé mondialement par Lowell Thomas. À cette époque, Lowell Thomas était journaliste à Lhassa pour la NBC des États-Unis (14).

Les histoires à propos de l'or du sous-sol tibétain abondent également. Selon une étude datant de 1939 du Bureau Géologique chinois, il y avait à cette époque 3000 chercheurs d’or dans le région de Yongsheng, sur la rivière Jinsha, le cours supérieur du Yangtsé. « Jin » et « Sha » signifient « or » et « sable ».

Le sable des berges était tamisé nuit et jour, alors que la production annuelle totale pour tous ces chercheurs réunis ne dépassait pas 50 kg (15).

Dans l’ancien Tibet, l’exploitation de petits filons d’or servait principalement pour la dorure des statues religieuses, des stupas et des toits des temples. Une cour du Potala était destinée à la pesée et au commerce de l’or qui se passait sous l’autorité du fonctionnaire en charge des finances. Une petite quantité d’or était conservée comme réserve de paiement. Lorsque cette réserve fut presque épuisée à cause de l’augmentation des dépenses militaires sous le règne du 13ème dalaï-lama, une mission tibétaine se rendit à Londres pour acheter de l’or grâce à un prêt. En 1956, pour construire le trône en or de l’actuel 14ème dalaï-lama, il a également fallu acheter de l'or en dehors du Tibet avec ce qu’avait rapporté une quête auprès des fidèles lamaïstes (16).

sur le toit du Jhokang à Lhassa, les antilopes et le Roue du dharma à feuilles d'or (photo JPDes., 2005)
sur le toit du Jhokang à Lhassa, les antilopes et le Roue du dharma à feuilles d'or (photo JPDes., 2005)

Pendant les années 80, le Tibet s’ouvrit complètement au tourisme et le « Katmandou branché » s'est déversé sur Lhassa. La quête des fumeurs de moquette devenait tout-à-coup moins spirituelle. Aux côtés des Han et des Tibétains, ils lavaient les cailloux des rivières pour quelques grammes d’or. Tous campaient sur le Haut plateau pendant quelques mois et ils gagnaient alors quelques centaines d’euros par tête de pipe.

Depuis, ces régions sont devenues des réserves naturelles et la ruée vers l’or s'est peu à peu calmée. En 2003, les normes environnementales en vigueur pour l’extraction de l’or ont été sévèrement renforcées afin de prévenir la pollution des cours d’eaux. Et depuis octobre 2005, toute extraction d’or a cessé au Tibet suite à de nouvelles restrictions environnementales.

Le gouvernement en exil du 14ème dalaï-lama accuse pourtant la Chine de voler des tonnes d’or du sous-sol tibétain et d’y employer des milliers de travailleurs immigrés chinois. En réalité, il parle de mines (potentielles et réelles) situées dans les provinces du Qinghai et du Gansu.

Le 14ème dalaï-lama s’est aussi montré inquiet que le gouvernement chinois laisse des investisseurs étrangers chercher de l’or, e.a. une entreprise canadienne et une autre australienne, dans ces mines du Qinghai et du Gansu (17).

En dehors des deux grandes exploitations minières dont nous avons parlé, l'une de chrome et l'autre de cuivre, il en a encore une septantaine de petites exploitations au Tibet. Seulement 10% de celles-ci ont obtenu un permis d’exploitation (18).

La seule mine de charbon qui restait au Tibet a été mise en inactivité en 2006 (19). D'autres minerais importants du Tibet sont le plomb et le zinc. Un consortium d’entreprises mené par Chalco, une société chinoise qui fait dans l’aluminium, prévoit de développer l’extraction de zinc et de plomb dans l’Est du Tibet, à proximité de la ville de Qamdo. Dans les cinq années à venir, Qamdo va être transformée en base pour les métaux non-ferreux.

Un projet récent, qui semble avoir un bel avenir devant lui, concerne l'extraction du lithium du grand lac salé de Zhabuye. Le stock y semble abondant et l’acheteur sera BYD, situé à Shenzhen, un producteur de batteries au lithium pour les voitures électriques.

L’actionnaire principal de la future exploitation est « Tibet Mineral Development » (51%), une entreprise d’état régionale, qui possède 51% des parts. BYD s’est aussi rapidement associé pour 18% des parts. Cette exploitation de lithium sera la plus importante de Chine.

Les minéraux du Tibet ne sont pas un « trésor caché » par la Chine qui d'ailleurs explore son sous-sol un peu partout, pas seulement au Tibet. En 2007, environ 10.000 nouveaux permis d’extraction ont été délivrés sur l’entièreté du territoire(20).

On a aussi trouvé du pétrole au Tibet : dans le bassin de Lhunpola dans le Nord-ouest du Tibet. Les estimations parlent de 100 millions de tonnes. L’extraction n’a pas encore débuté. Le Tibet consomme actuellement 150.000 tonnes de pétrole par an. L’essence et le diesel consommé actuellement au Tibet proviennent intégralement du bassin de Qaidam, dans le Nord-ouest de la province de Qinghai. Le Qaidam est une région aride et peu peuplée, semi-désertique, à une altitude de 3000 mètres en moyenne, grande comme cinq fois la Belgique. Le pétrole qui y est extrait est acheminé jusqu’au Tibet par le plus haut pipe-line du monde.

L’impact des mines sur l’environnement du Tibet est pris fort au sérieux par le gouvernement central chinois qui commence par exiger une étude d’incidence détaillée. Les observateurs étrangers, des informateurs pour la participation étrangère aux investissements, sont clairs à ce sujet : à peu près 30% des investissements doivent servir à assurer la responsabilité écologique des extractions minières (21), un pourcentage plus élevé que dans le reste de la Chine.

En conclusion, ajoutons peut-être ceci : le sous-sol tibétain est ouvert aux recherches scientifiques. Des géologues japonais, canadiens et américains sont invités à venir l'étudier avec leur homologues chinois, car on y trouve des alliages rares, comme celui du nickel-fer-chrome-cuivre, ou des silicates de magnésium, et encore d’autres « minéraux formés sous très haute pression » dont l’exemple le plus connu est le diamant. L’objet de ces recherches ? Principalement : les mouvements de la croûte terrestre (22).

Notes

  1. CTIC 13/02/2007

  2. 20% du bénéfice.

  3. Tibet Statistical Yearbook 2008.

  4. 130.000 tonnes pour une consommation totale de 6 millions de tonnes. Hattongrp.com, Dubai, 06/12/2010.

  5. Reuters, 15/10/2008.

  6. www.mineweb.com, 18/08/2008 + CTIC.

  7. Xinhua, 19/10/2010.

  8. Reuters, 21/06/2010.

  9. BBC, « China to buy Australian uranium » (La Chine va acheter de l’uranium australien), 03/04/2006.

  10. « Unconventional uranium extraction » (extraction non-conventionnelle de l’uranium), site web aiea.org

  11. CTA (administration en exil), « Tibet’s Environment and Development Issues » (Questions environnementales et de developpement au Tibet)

  12. Préface du livre « Tibet, Enduring Spirit, Exploited Land », Apte Roberts et Andres Edwards, États-Unis, 1998. À noter : Andres Edwards prèche aux États-Unis pour la « révolution verte durable ».

  13. Site web de Michel Bouffioux, interview de Michel Van Herwegen des « Amis du Tibet », article paru dans le Ciné-Télé Revue du 17/02/2005.

  14. Alan Winnington, « Visa pour le Tibet », page 145, Gallimard, 1958.

  15. HKCTP, juillet 2008.

  16. Goldstein, Melvyn, « Ahistory of modern Tibet, 1913-1951 ».

  17. Interview de l’Asian Pacific Post, 27/01/2005, le 14è dalaï-lama s’y insurge contre l’entreprise canadienne concernée.

  18. www.ressourceinvestor.com

  19. Tibet Statistical Yearbook 2008.

  20. Ministry of Land and Ressources, communiqué de 2007.

  21. www.ressourceinvestor.com

  22. Ultra-high pressure minerals in the Luobusa ophiolite, Tibet and their tectonic implications », lyellcollection.org