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Histoire d'eau en Chine

par Élisabeth Martens, le 8 mars 2023

De tous temps, le contrôle de l'eau a été une préoccupation majeure de la Chine. Le Fleuve Jaune sur les rives duquel est née la civilisation chinoise a été à l'origine de nombreuses inondations meurtrières. Avant la construction des grands barrages modernes au cours du 20ème siècle, le Fleuve Jaune était réputé pour ses crues dévastatrices au cours desquelles il a plusieurs fois changé de lit. Ses divagations en amont pouvaient, en aval, déplacer l'embouchure du fleuve de près de 500 km causant de nombreuses pertes et de nombreux dégâts. Ce sont les seules catastrophes naturelles de l'histoire de l'humanité à avoir tué plus d'un million de personnes.

 

Divagations historiques du Fleuve Jaune
Divagations historiques du Fleuve Jaune

Une légende raconte qu'à l'origine de la première dynastie chinoise1 se trouvait Yu le Grand. On l'appelait aussi le « Dompteur des eaux ». Quand il était ministre des « Affaires de l'Eau », Yu a eu l'intelligence de combiner deux méthodes, celle des digues et celle des canaux. Ses aïeuls n'avaient fait qu'endiguer, ce qui avait bloqué l'eau au lieu de la libérer. Ainsi, Yu le Grand a permis au Fleuve Jaune de s'écouler sans dégâts vers la mer. La terre chinoise a pu être mise en culture, elle devint un pays de céréales où l'on consomma du millet et du riz.

Plus tard, ce sont les sécheresses qui se sont abattues sur les plaines du nord, dévastant les cultures et causant des famines à répétition. L'empire a alors instauré un système d'impôt en grains : les peuples du sud qui profitaient de terres riches et fertiles devaient envoyer leurs impôts en boisseaux de riz vers le nord. Pour ce faire, un premier canal fut creusé au 4ème siècle AC. Achevé au 6ème PC, le Grand Canal devint la colonne vertébrale du pays... jusqu'à la venue du chemin de fer que les Occidentaux installèrent en Chine au 19ème.

Le Grand Canal
Le Grand Canal

 

Actuellement, le sud de la Chine bénéficie de précipitations abondantes jusqu'à devoir faire face à des inondations catastrophiques. Par contre, le nord connaît une pénurie chronique d'eau, or c'est le nord du pays qui concentre deux tiers des terres arables du pays, des terres déjà extrêmement réduites au vu de la population (1,8 milliards). A noter que les terres arables de la Chine doivent nourrir plus de 20 % de la population mondiale, alors qu'elles comptent seulement pour 10 % du total mondial.

Heureusement, les Chinois sont passés maîtres dans l'art de l'ingénierie fluviale, ceci depuis des temps immémoriaux et ce n'est pas aujourd'hui qu'ils vont s'arrêter. Pour preuve, le barrage des Trois-Gorges sur le Yangzi : la plus grande centrale hydroélectrique au monde. Ce barrage a toutefois soulevé bien des polémiques : 1,8 millions d'habitants déplacés, des centaines de km² de terres agricoles inondées, des forêts et des écosystèmes dévastés, l’engloutissement de 15 villes, d'une centaine de villages, de 1300 sites historiques et archéologiques, les risques de rupture par secousses sismiques. On quand-même retenir deux arguments majeurs en faveur du barrage : il alimente en électricité plus de sept millions de foyers et il limite les crues donc sécurise les millions de personnes qui vivent en aval.

Barrage des Trois Gorges
Barrage des Trois Gorges

 

Trois milliards de personnes, presque le quart de l'humanité, sont concernés par les neuf grands réseaux fluviaux qui démarrent du Plateau tibétain : Fleuve Jaune, Fleuve Bleu (ou Yangzi), Mékong, Nüjiang, Irriwadyai, Yangrlung Tsangpo, Indus, Gange, Sutlej. Ils en font le « château d'eau » de l'Asie du sud-est car ils desservent onze pays : la Chine, l'Inde, le Vietnam, le Cambodge, le Laos, la Thaïlande, la Birmanie, le Bangladesh, le Népal, le Bhoutan et le Pakistan. Plusieurs d'entre eux sont en plein boum démographique. Le développement industriel et agricole que cela représente se traduira par une augmentation drastique de la consommation en eau.

La Chine prévoit la construction de nombreux barrages, tous plus gigantesques les uns que les autres, sur les portions chinoises du Yarlung Tsangpo, du Yangzi, du Mékong. On reproche souvent à la Chine qu'avec ses barrages, la Chine peut contrôler le débit des fleuves issus du Haut Plateau et ainsi se mettre en position de force vis-à-vis des pays situés en aval. Cela ne risque-t-il pas de devenir un sujet d'inquiétude et d'aboutir à des tensions entre les pays du sud-est asiatique, se demande-t-on ?

Jusqu'à présent, rien ne permet d'affirmer que la Chine profiterait de son avantage pour créer des tensions avec les pays voisins. Au contraire, elle déploie de nombreux projets de protection des réserves naturelles situées sur le Haut Plateau en vue de préserver les fleuves, par exemple sur le site de Sanjiangyuan, ou « Source des Trois Fleuves ». Cela tend à montrer qu'elle est consciente de l'impact de ses actions environnementales sur les écosystèmes fluviaux en aval.

Il existe encore d'autres projets de protection de la biodiversité en collaboration avec les différents pays traversés par le Mékong, par exemple le « Lancang-Mekong Cooperation » (LMC)2. En 2018, un plan quinquennal a été adopté par tous les pays membres du LMC pour une gestion partagée des eaux du fleuve. Pékin a apporté son soutien à la construction et à l’entretien des barrages situés en aval de la portion chinoise du Mékong, et des experts chinois ont été envoyés au Laos, en Thaïlande et au Vietnam pour former des équipes d’inspection et de contrôle de sécurité des barrages.

 

Notes :

1 La dynastie des Xia du 21ème siècle à 16ème siècle AC

2 En 2014, la Chine a proposé une sorte d'alternative à la MRC (Commission du Mékong, organisation intergouvernementale pour le dialogue et la coopération régionale dans le bassin inférieur du Mékong créée en 1995) et a mis en place la « Lancang-Mékong Coopération » (LMC) qui réunit les membres de la MRC auxquels se sont ajoutés la Birmanie et la Chine, soit finalement tous les pays concernés par les eaux du Mékong.