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Histoires de villages

par Jean-Paul Desimpelaere, le 29 novembre 2009

Le développement des villages est spectaculaire cette dernière décennie : nouvelles maisons, eau courante, électricité, meilleures conditions d’hygiène, petites routes, quelques stupas en plus, etc. Voici quelques exemples éloquents de ce développement rural.


à Lhozag

Au Tibet, les villages sont parfois très éloignés les uns des autres. Il en est ainsi de Lhozag (ou Dowa en chinois), au Sud, à la frontière avec le Bhutan. On accède au village par une piste en gravier. Cela ne fait que quelques années que ce district de 18.000 habitants est parvenu à éradiquer l’analphabétisme chez les jeunes.

Ce n’était pas évident d’y amener un câble électrique, aussi le gouvernement leur a cédé 600 paraboles à énergie solaire.

À Tsona
Tsona (ou Cona en chinois) est une petite ville du Sud du Tibet, à proximité de la frontière Nord Est du Bhutan. Ses habitants sont les Lhoba, une ethnie très ancienne, un peu comme les derniers Celtes de Bretagne. Il y a moins de cent ans, les Lhoba étaient encore des chasseurs-cueilleurs.

Aujourd’hui, à Tsona, l’activité principale consiste à produire de la laine de mouton.

Jusqu’il y a peu, elle était transportée, brute, jusqu’à Lhassa, Pour y être filée. Cela représentait une perte de temps et d’argent pour les villageois qui se retrouvaient au moins quatre jours sur la route. Il y a 3 ans, le village a pu rassembler la somme de 8000 euros pour acheter une fileuse et pouvoir filer la laine sur place. Après un an seulement, la machine fut rentabilisée grâce au regroupement de la distribution. Une histoire couronnée de succès, puisque avec ce gain, le village envisage maintenant d’acheter une machine à tisser.

À Yumai
Yumai est probablement le plus petit village du Tibet : 27 habitants. Il se trouve dans le district de Lhunze (Kyitang) près de la frontière avec l’Inde (Arunachal Pradesh), à seulement 2000 m d'altitude. Malgré cette basse altitude, une seule famille y vivait encore là-bas, occupant un territoire de 50km  sur 40 km, il y a une dizaine d’années. Dans les années cinquante, le village comptait 300 personnes. Petit à petit, ils s'est vidé, les habitants mettant le cap sur des régions plus développées.

Ce qui manquait surtout à Yumai, c’était une route pour y accéder. Il fallait plusieurs jours de marche sur des chemins très escarpés pour atteindre le village le plus proche. De novembre à mai, Yumai était coupé du monde à cause de la neige. En 1982, il ne restait plus que trois habitants. L’un des trois, une dame, était officiellement nommée « maire de Yumai ». En 1996, les autorités du district, ont annoncé un projet d’aménagement de route et ont trouvé deux familles prêtes à s’installer à Yumai. La population est ainsi passée à 27 personnes : grâce à la route et à quelques ponts et tunnels, le monde extérieur se trouve à une heure de cheval. L’élevage est la principale activité des habitants.

Grâce à la vente de beurre, de fromages et de paniers tressés en tiges de bambou, chaque famille dispose d’un revenu moyen de 1000 euros par an. China Mobile s’est surpassé : en 2007, ils ont installé une antenne de GSM à proximité du village, ainsi le plus petit village de Chine est branché !

À Para
Le chef de village élu perçoit une indemnité de 3 euros/mois pour son travail de gestion des travaux communs (pour un plus grand village, cela peut monter jusqu’à l’équivalent de 15 euros), comme aider à la construction ou à la réfection des routes, ce qui rapporte aux villageois 2,5 euros par jour pour les hommes et 2 euros pour les femmes.

Auparavant, la chasse faisait partie de la vie courante au Tibet. Dans les années quatre-vingt, la chasse a été interdite, mais les autorités ont dû saisir toutes les armes pour que l'interdiction produise son effet. De plus, les lamas ont été invités à prêcher pour la protection de la nature et la survie du gibier. Il y eut aussi une compensation pour les revenus disparus : les familles les moins bien loties du village perçurent chacune l’équivalent de 2000 euros de l’état sous forme de matériaux pour la construction de nouvelles maisons. Mais ce qui est réellement venu changé la vie la commune de Para est la cueillette des « champignon-chenilles », le Psychrophiles sinensis, ou yarsagumbu  en tibétain (littéralement, « ver d'hiver - plante d'été »).

Il s'agit d'un champignon ascomycète de la famille des cordycipitacées, originaire du plateau tibétain. Il est utilisé dans la tradition médicale tibétaine et chinoise pour renforcer le cœur et les reins, ainsi que comme aphrodisiaque. Depuis qu'on en extrait de la cordycépine, qui a une action anticancéreuse, sa récolte est devenue une activité très lucrative qui peut augmenter le revenu d'une famille de 1000 euros par an.

Les prix du champigong-chenille n'ont cessé d'augmenter, surtout depuis la fin des années 1990. En 2008, un kilogramme se négociait entre 3000 dollars (pour une moins bonne qualité) et 18 000 dollars (pour la meilleure qualité, les plus grosses larves). La production annuelle sur le plateau tibétain est estimé à une centaine de tonnes.
 

champigon-chenille ou yarsagumbu (photo du Net)
champigon-chenille ou yarsagumbu (photo du Net)

À Jol
Dans le Tibet de l’Est, près de la frontière avec le Yunnan, dans la vallée du Mékong non loin de Yanjing, Jol est un village de 1200 personnes dont 90% sont des Naxi. Le village ne dispose que de 56 hectares  de terre, ce qui ne représente qu'un demi hectare par tête de pipe. Le revenu principal du village provient de la saliculture, une activité traditionnelle dans la région de Yanijng (qui signifie « puit de sel », en chinois).

Ce sont les longues heures d’ensoleillement et les riches ressources éoliennes qui ont donné naissance à la méthode de séchage du sel par le vent. Les paysans vont d’abord tirer l'eau des puits de sel près du Lancangjiang (le Mékong) et la transportent vers leur maison dans des barils en bois. Ils la versent dans des étangs d'eau salée qui se trouvent dans leur cour. Après avoir laissé la saumure se concentrer, ils la déversent dans un champ où l'eau s'évapore sous le chaud soleil en laissant le résidu du sel.

Les enfants travaillent aussi dans la saliculture. Depuis 2 ans seulement, des canalisations descendent d’une source à 5 km du village et amènent l'eau dans les maisons. Les activités collectives du village assurent les fonds d'une petite caisse-maladie (10 yuans sont versés par personne) et le fonctionnement d'une bibliothèque et d'un petit centre culturel.

Au centre du village trône une église catholique blanche, en activité depuis une siècle et fraîchement restaurée. Les villageois sont à la fois catholiques et lamaïstes.

 

saliculture dans le Yinjing (photo du Net)

À Gyatsa
Dans les villages, il arrive souvent que des activités collectives et lucratives pour tous s'organisent de manière spontanée. Parfois, c'est sous l’impulsion du chef du village, ce qui semble naturel, mais c'est parfois aussi à l'initiative de simples villageois. A Gyatsa (ou Gyaca), c’est une femme légèrement handicapée qui organise le commerce pour tout le village. Elle se déplace difficilement à cause d'une polio qu’elle a contractée durant l’enfance.

Pendant que la plupart des villageois se rendent dans les collines pour récolter les « champignon-chenilles », elle reste au village pour négocier avec les grossistes. Par ailleurs, elle a ouvert un petit magasin où les villageois mettent leurs pommes, pêches sauvages et noix en vente. Elle gère aussi la vente de l’orge que chaque famille destine au commerce (après avoir gardé ce qu'elle va utiliser). Les familles peuvent venir s’approvisionner chez elle en articles usuels,  casseroles, bidons, couvertures, vêtements, divers ustensiles acheminés de Lhassa. Le revenu annuel de sa propre famille n’est pas mince pour une famille d’agriculteurs tibétaine : 4500 euros par an.

à Baruda
La petite ville de Baruda compte avec l’aéroport civil le plus élevé du monde (à 4300m). A 200km de là, Baruda, un petit village où vivent 38 familles, les éleveurs se sont convertis peu à peu à l'agriculture. En effet, ces dernières années, les zones herbeuses des environs ont été appauvries en raison du nombre croissant d’animaux et en raison de la sécheresse.

Le gouvernement a encouragé l’horticulture en distribuant des subsides destinés à la construction d’une serre par famille. Le maraîchage en serre s'est rapidement développé. A côté des traditionnels champs d'orge, des champs de pomme-de-terres sont apparu. Les familles n'ont pas entièrement abandonné le bétail, il leur reste quelques bêtes. Un nouveau projet de culture de plantes grasses a été lancé dans l'idée de répandre des engrais verts sur les pâturages dégénérés.

Une superficie pilote de 67 hectares a été choisie pour tester la technique.

serres à légumes au Tibet (photo Jpdes, 2008)
serres à légumes au Tibet (photo Jpdes, 2008)


        
à Sengda
En 1993, les habitants de Sengda, petit village dans le district de Qamdo (Est du Tibet), vivaient encore avec moins d’un dollar par jour. Ils avaient quelques animaux et un petit lopin de terre pour cultiver de l’orge. Ils mangeaient ce qu’ils produisaient, il n’y avait pas de surplus à vendre, ils n’avaient donc pas d’argent en circulation au village. Leur seule « monnaie d'échange » était leur propre sang, c'est pourquoi ils donnaient leur sang de temps en temps, cela leur procurait quelques centimes.

Dans les années quatre-vingt, l'initiative privée fut autorisée par le régime chinois, aussi, en 1984, Sangar Tsering, un habitant du village emprunta de l'argent aux autorités locales et acheta un camion. Il démarra un transport de pierres et au bout de 2 ans, son emprunt fut remboursé. Son affaire prospéra si bien qu'en 1994, il avait déjà 7 camions. En quelques années, son chiffre d’affaires atteignit 120.000 euros. Mais que se passe-t-il souvent dans la Chine actuelle - et le Tibet ne fait visiblement pas exception - ?

Sangar Tsering fut mis sous pression : après une inspection en règle et  une série de sympathiques gueuletons arrosés de louanges, les autorités l'invitent à donner de l’argent pour la construction d’une maison de retraite, puis pour financer une petite école et autres projets dans le district. C’est ainsi que cela se passa. Mais Sangar Tsering y prit goût et dépassa rapidement ce qui lui avait été « suggéré ». Il sortit tout le village de Sengda de la pauvreté en impliquant les villageois dans sa société de transport de pierres.

Pour la première fois, l’argent commença à circuler au village, les gens purent acheter nombre de biens basiques et gagner un petit salaire d’une petite centaine d’euros/mois/famille. En 1997, l’entrepreneur privé Sangar Tsering fut élu échevin de la ville de Qamdo.

 

Beaucoup de transport se font par camion au Tibet (photo JPDes., 2008)
Beaucoup de transport se font par camion au Tibet (photo JPDes., 2008)

 

À Bulun

Madame Zhang Shi, anthropologue à l’Institut pour les Minorités Nationales de la province du Yunnan, a séjourné au village de Bulun, non loin de Zhongdian (ou Shangrila, Gyeltangteng en tibétain). A l’occasion du séminaire international de tibétologie à Beijing en octobre 2008, elle a décrit le mode de vie des habitants de Bulun : « les familles d’agriculteurs gèrent des petites sociétés de tourisme à Zhongdian, cela leur rapporte environ 4000 yuan par an. Le terrain cultivable est géré de manière collective.

Étant donné qu'il est très limité, des rotations pour faire paître les troupeaux sont organisées. L’irrigation des champs est entretenue par la communauté villageoise, ainsi que l'entretien des pelouses aux abords des lieux touristiques. Au Tibet-même, les travaux collectifs dans un village se règlent par famille, via un contrat avec le village, ainsi les input et output sont facilement comparés. »

 réserve naturelle près de Zhnogdian exploitée par les villageois (photo JPDes., 2007)
réserve naturelle près de Zhnogdian exploitée par les villageois (photo JPDes., 2007)