Imprimer

Résultats de la réforme agraire de 1982 en R.A.T.

Une enquête menée par Melvyn Goldstein et Cynthia M. Bell, le 19 décembre 2008 (1)

Deux chercheurs américains de renommée internationale, Melvyn Goldstein et Cynthia M. Bell, parlant tous les deux le tibétain, accompagnés de deux experts chinois, Ben Jiao et Phuntsog Tsering, ont mené une enquête dans 13 villages tibétains isolés de tout et situés dans 4 cantons différents. Ils interrogèrent 780 foyers, auxquels ils ont spécifié que leurs déplacements et leurs questions n’étaient soumis à aucun contrôle et n’étaient nullement dictés par le gouvernement. Le sujet de la recherche portait sur l’impact de la réforme agraire de 1982, qui a remplacé le « système de communes populaires » par des contrats avec les familles. Les résultats de cette enquête sont éclairants à plusieurs points de vue et viennent contredire bon nombre d’assertions qui circulent chez nous, ‘Bouddha seul sait pourquoi !’

 

 

en province du Gansu (photo : jpdes, 2008)
en province du Gansu (photo : jpdes, 2008)


Voici une énumération des constatations qu'ont rapporté les deux chercheurs:
* Les ménages moyens comptent 7 personnes.
* Toutes les familles sont tibétaines, aucune n’est Han ni Hui, même dans les petits magasins et les organes de direction.
* La nourriture est actuellement variée et non traditionnelle : riz, sucreries, poulet, œufs, légumes divers et viande de porc.
* Presque 4% des hommes sont des moines, presque 3% des femmes sont des nonnes. Les autorités essaient d'arrêter l’enrôlement des enfants dans les monastères et ils ont imposé un âge minimum de 18 ans, ce qui n’est pas souvent respecté.
* Il existe maintenant un numerus clausus pour le nombre de monastères (un total de presque 2000 aujourd’hui au Tibet).
* Environ la moitié des familles fait des dons aux monastères et seulement 3% demandent aux moines de pratiquer des rituels pour le bonheur de leur famille. L’importance du don est proportionnel au revenu familial. Il se situerait autour d’un euro/an pour les familles les plus pauvres et de 20 euros pour les plus fortunées. Les personnes les plus âgées consacrent chaque jour entre quelques minutes et une heure à la prière. Les pratiques shamaniques (la chasse aux mauvais esprits, la consultation d’un « médium ») sont déconseillées dans les médias.
* Un peu plus de la moitié des gens entre 15 et 45 ans savent lire le tibétain.
* Seulement 10% savent parler le chinois, mais sont loin de savoir l’écrire. Il est étonnant de voir que certains chefs de village ne parlent pas le chinois.
* La terre ne peut être ni achetée ni vendue.
* 94% des ménages trouvent que leur situation s’est améliorée depuis la réforme agraire de 1980 ; ils voient l’avenir de manière sereine.
* Tous les ménages ont davantage d’animaux et tirent davantage de profit de leur terre ; les vaches laitières sont 6 fois plus nombreuses. 75% des ménages produisent assez pour leurs propres besoins, voire  plus. Une famille comptant 7 personnes en moyenne dispose d’environ un hectare et demi de terre arable.
* Le partage des récoltes est réglé collectivement par chaque village. L’achat des semences, de l’engrais, des machines passe par le village, de même que la commercialisation des surplus.
* Environ 500 euros par ménage est consacré à l’amélioration de l’habitat ou à une nouvelle construction.
* Aucun des 13 villages ne possède l’eau courante. Il n’y a qu’un village relié au réseau électrique. Les routes sont des chemins de terre et de sable.
* Seulement 20 % des jeunes ont achevé l’école primaire, mais environ 70% des enfants passent quelques années sur les bancs de l’école.
* Les femmes ont en moyenne 7 enfants. La pression démographique devient intenable. Les autorités ont lancé trop tardivement leur campagne pour le contrôle des naissances et pour l'usage des moyens contraceptifs qui sont mis à disposition. Seulement la moitié des femmes les utilisent, et ne le font en général qu’après la 4e naissance. L’objectif est maintenant de ne pas dépasser le nombre de trois enfants, mais en pratique ce conseil n’est pas suivi. L’augmentation de la population a eu pour conséquence que la superficie agricole disponible par habitant a baissé depuis 1980.
* Dans la moitié des familles, une personne au moins travaille à l’extérieur, dans un secteur autre que l’agriculture. Il ira ainsi occuper un poste de chauffeur, de commerçant, travaillera dans le bâtiment, dans l’enseignement, les soins de santé, l’administration ou comme artiste ; il le fait en général pour un temps limité, d’environ 4 mois/an et contribue ainsi à 1/3 des revenus de la famille.

dans la région de Lhassa (photo : jpdes, 2008)
dans la région de Lhassa (photo : jpdes, 2008)

(1) Asian Survey, 45 : 3, pp 758-779 – University of California 2003.

Remarque :
     La contradiction entre les deux données ci-dessous n'est qu'apparente : « les ménages moyens comptent 7 personnes » et  « les femmes ont en moyenne 7 enfants ». En effet, le nombre d’enfants en moyenne par femme n’est pas la même chose que le nombre de personnes en moyennne par foyer.
Il existe des foyers où la plupart des enfants sont partis et ont créé leur propre foyer. L’enquête des chercheurs américains porte sur 780 foyers. Aux dames de 50 ans et plus, ils ont demandé combien d’enfants elles ont eus.
Cela ne veut pas dire que ces enfants sont encore tous à la maison. Il faut savoir aussi que cette enquête s’est effectuée dans des villages pauvres, éloignés. Dans les villes en R.A.T., les couples n’ont que 2 à 3 enfants (J-P Desimpelaere)